Un pays à reconstruire
La paix recouvrée et les derniers contingents partis, il fallait au plus vite veiller à l'apurement des dettes de guerre, lesquelles s'élevaient au montant astronomique de 12 millions de livres. Les différents belligérants ne s'empressèrent pas de les honorer : la Grande-Bretagne ne versera pas le moindre farthing aux Liégeois ; les Provinces-Unies, elles non plus, ne leur accorderont pas le plus petit gulden ; l'Autriche rechignera elle aussi à bourse délier, même si une première avance de 385 000 florins d'Allemagne est consentie par Marie-Thérèse au printemps de l'année 1749. Par contre, dans son souci de maintenir d'excellents rapports avec le Pays de Liège, la France remboursera les avances – près de 6 millions de livres – qui lui avaient été faites. Mais ces « argents de France », selon l'expression du temps, ne serviront pas à soulager les difficultés de vie de la population liégeoise.
C'est que, dans l'environnement rapproché du prince-évêque, les manœuvres frauduleuses ne manquent pas auxquelles s'adonnent bon nombre de favoris. Amoureux du faste, Jean-Théodore lui-même se livre, plus que de raison, à des agréments dispendieux : chasse et fréquentation des femmes surtout. Comment dès lors assainir avec efficacité les finances d'une principauté qui vient d'être malmenée par des années de guerre et par une gestion chaotique ? Il y eut bien des tentatives de rétablir des relations harmonieuses avec les Pays-Bas autrichiens – Bruxelles en tête – et le voisin batave, mais les pourparlers n'eurent pas de suite satisfaisante. Pire : les longs séjours du souverain à l'étranger (Bavière), ajoutés à sa trop grande apathie, laissent les coudées franches aux ordres privilégiés, principalement le clergé primaire et la noblesse, dont la préoccupation prioritaire est de veiller au maintien de leurs privilèges.
Et pendant ce temps, le petit peuple liégeois se débat dans une survie proche de la misère la plus criante, en dépit des atouts d’un pays riche en potentialités économiques : il suffit, à cet égard, de penser aux ressources qu'y offrent la métallurgie et le textile. Au milieu du règne se produit un sursaut patriote, incarné par un « tiers parti », notamment décidé à combattre l'influence prégnante de la France. Ce mouvement contestataire, où se retrouvaient des membres du clergé, de la bourgeoisie et de la petite noblesse, restera néanmoins sans lendemain. Au total, le principat de Jean-Théodore de Bavière, le dernier des Wittelsbach à occuper le trône de Saint-Lambert, devenu par ailleurs cardinal en 1746, laissera dans la mémoire des Liégeois un piètre souvenir. Ce qui justifie certainement le choix d'un noble local – un « patriote » – fait par les chanoines de Saint-Lambert et répondant au nom de Charles-Nicolas d'Oultremont (1763-1771), pour lui succéder. « Nosse prince Tchâles », « nosse binamé prince », comme se plaira à l'appeler le bon peuple de Liège. Et comme nous le rappelle aussi, au terme d'un ouvrage à la lecture palpitante, notre historien Daniel Jozic...