Peu avant le début du conflit, Selliers de Moranville met en place un plan qui ne plaît visiblement pas au Roi. Quand le souverain en prend conscience, le plan est déjà enclenché. La direction des chemins de fer a été prévenue en dernière minute et les officiers travaillent depuis trois jours sur le plan de transport. Chaque minute compte au début de la guerre. Il est donc trop tard pour faire demi-tour et changer de stratégie. Une position médiane est finalement adoptée. Même s’il ne lui convient pas parfaitement, le Roi accepte le plan, le modifiant toutefois légèrement pour placer deux divisions sur la Meuse à Liège et à Namur.
Si l’on en sait peu sur le rôle exact du Roi, la lecture des mémoires de ses principaux conseillers permet de faire quelques suppositions à ce sujet : « Je suis convaincu que c’est lui qui a le dernier mot, révèle Christophe Bechet. C’est purement hypothétique mais je pense qu’il a peut-être mal géré les choses au moment de l’entrée en guerre. Il s’est dit que Selliers de Moranville ferait son boulot convenablement mais, influencé par De Ryckel et Galet, il a fini par se rendre compte un peu tard que ses conceptions étaient dangereuses. Il a pris un entre-deux. La question que je me pose est : est-ce que le Roi, avec ses nombreuses responsabilités dans des domaines multiples, était aussi bien formé que ses propres officiers pour comprendre au mieux cette situation stratégique ? Le Roi était probablement surchargé de travail, ce qui expliquerait les cafouillages survenus au début du conflit. Mais c’est une hypothèse. »
![Pont Argenteau. Pont Argenteau]()
La jonction avec la France ou le repli vers Anvers
Le 4 août 1914, soit deux jours après l’ultimatum allemand, la Belgique est envahie par l’Allemagne. Internationalement reconnue comme le premier lieu de combat de la guerre 14-18, Liège se situe dans le viseur allemand. La prise de Liège est un « Handstreich », ce que l’on appelle en langage militaire un « coup de main ». Les Allemands veulent s’emparer de la ville aussitôt la guerre déclarée à la Belgique. En cas de résistance, Liège deviendrait un véritable verrou empêchant le plan allemand de se dérouler dans de bonnes conditions, avec le risque éventuel que les Français et les Anglais n’y rejoignent les Belges. À la ceinture de Liège, les intervalles entre les forts sont connus pour être des points faibles. Sans résistance organisée de la part des Belges, ils peuvent être facilement franchis et permettre aux Allemands d’atteindre le cœur de la ville.
Le Handstreich ne se déroule cependant pas de la manière prévue par les Allemands. Grâce à la mobilisation anticipée du 31 juillet, les Belges parviennent à organiser la défense de la ville. En revanche, les Allemands prennent vite le dessus sur les Belges, en raison notamment d’un défaut de communication. Dès le 6 août, pensant la ville prise, le lieutenant général Leman ordonne le repli des troupes, alors qu’une seule brigade allemande occupe en fait la ville.
En vertu de son statut de pays neutre, la Belgique envoie alors un appel aux puissances garantes, signataires du Traité des XXIV articles (établi en 1831 et légitimé en 1839). L’erreur malheureuse du général Leman entraîne le repli progressif puis, à défaut des appuis attendus, la retraite définitive de l’armée vers le camp retranché d’Anvers dès le 18 août 1914. Trop éloignée pour que les Belges résistent aux côtés des Français, cette position est source de tension. Les officiers français ne comprennent pas que les Belges ne réalisent pas la jonction avec leurs troupes, tandis que le Roi Albert I reste pour sa part soucieux de préserver la neutralité du pays. Par la suite, la chute d’Anvers précipite les Belges derrière l’Yser, où l’appui des troupes françaises devient indispensable. Quatre années de résistance suivront. Jusqu’à la fin du conflit, la Belgique conservera son statut de pays neutre, s’inscrivant comme simple cobelligérant des Puissances alliées.