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Quand l’amour se marie à la loi
10/09/2013

Des enfants aux droits différents

Divorce

Si l’institution du mariage n’est plus ce qu’elle était, c’est aussi en raison des… enfants. Mai 68 (encore lui) aura en effet amorcé un changement majeur dans le domaine de la filiation. Car en des temps finalement pas si lointains, un enfant naturel simple (celui dont les parents n’étaient pas mariés) disposait de droits limités. De quoi, sans doute, inciter nombre d’unions à l’époque… Condamnées par la Cour européenne des droits de l’homme durant les années 1970, ces dispositions seront finalement réformées par la loi du 31 mars 1987, qui donnera enfin à tous les enfants le même statut.

La Cour européenne des droits de l’homme, tout comme la Cour constitutionnelle, ont joué – et jouent encore – un rôle prépondérant  dans la chasse aux lois inégalitaires injustifiées. « L’article 10 de la Constitution définit l’égalité entre tous les Belges. L’article 11 garantit la jouissance de droits et libertés reconnus sans discrimination. Cela signifie que tous les Belges sont égaux devant la loi, détaille Paul Delnoy. Si quelqu’un estime qu’une loi est discriminatoire, il peut donc aller devant la Cour constitutionnelle. Et il ne manque pas de cas où celle-ci déclare effectivement qu’un texte est discriminatoire et l’invalide. » Et de citer l’exemple de la reconnaissance d’un enfant naturel. La loi prévoyait auparavant qu’un père biologique ne pouvait, dans certains cas, reconnaître sa progéniture sans l’accord de la mère. Jusqu’à ce qu’un homme, empêché par la mère de reconnaître son enfant, entame avec elle un bras de fer juridique qui se solda par une condamnation de la loi de la part de la Cour constitutionnelle.

Une histoire de réserve

La plus grande différence entre le mariage et la cohabitation légale est en matière successorale. Le conjoint survivant a, dans la succession de son conjoint décédé nettement plus de droits que le cohabitant légal survivant. Notamment, le conjoint survivant a ce qu’on appelle une « réserve ». Cela signifie que l’époux décédé ne peut pas le déshériter totalement : il ne peut pas le priver de l’usufruit d’une partie de ses biens dont l’usufruit de leur habitation durant le mariage. Ce n’est pas le cas du cohabitant légal survivant. D’abord ses droits dans la succession du défunt sont très limités ; ensuite, il n’a pas de réserve ; donc le cohabitant légal décédé peut le priver de tout droit dans sa succession.

Il est peu probable que la Cour constitutionnelle estime un jour que ces différences sont discriminatoires. Peut-être le législateur y mettra-t-il fin, lorsque le mariage aura encore un peu plus perdu de son prestige d’antan.

Dans le cadre d’un remariage, cette fameuse réserve a pu par le passé donner des sueurs froides aux descendants voyant l’un de leurs parents passer la bague au doigt d’un partenaire beaucoup plus jeune. Car celui-ci bénéficiait potentiellement de l’usufruit des biens durant de longues années après le décès, faisant reculer davantage le moment où les enfants auraient pu jouir de leur héritage… Comme Paul Delnoy le détaille dans un autre ouvrage récemment publié, Les familles recomposées(2), ces craintes peuvent désormais être apaisées depuis le « pacte Valkeniers », du nom du député à l’origine de cette réforme. Une disposition du Code civil qui permet aux époux remariés de renoncer à leur réserve.

Encore une avancée législative contribuant toujours davantage à placer chaque couple sur un pied d’égalité. « Finalement, sur de nombreux plans, il n’y a plus de différences de statuts, répète Paul Delnoy. Aussi, toute différence n’est pas forcément discriminatoire. Le droit fonctionne assurément pour les biens, mais cela se complique lorsqu’il s’agit des personnes.  C’est qu’aucune loi ne peut forcer à l’agapè, l’un des quatre mots grecs évoquant l’amour, dans son sens spirituel, inconditionnel… »

(2) Philippe DE PAGE, André CULOT, Isabelle DE STEFANI et al., Les familles recomposées. Défis civils, fiscaux et sociaux, Limal, Anthemis, coll. "Patrimoines & fiscalités", 2013, 262 p.

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