Les mœurs précèdent le législateur
Gestion du patrimoine au sein d’un couple, programmation successorale, filiation, procédures de séparation, pensions de retraite, faillites, statuts des biens… Cette publication (réunissant les contributions de 24 spécialistes) s’applique donc à faire le point – juridiquement parlant – sur ces situations particulières pouvant être rencontrées par deux personnes ayant décidé d’unir leurs destinées. Mais les textes réunis ici ne sont finalement qu’un instantané d’une matière en perpétuelle évolution. « Certains évoluent presque tous les jours, observe Paul Delnoy. Chaque année, des lois-programmes "fourre-tout" apportent de nouvelles modifications. Prenez par exemple la loi sur l’administration provisoire, qui prévoit que des personnes n’étant plus en mesure de gérer leurs biens en raison de leur état de santé peuvent être pourvus d’un administrateur provisoire. Eh bien une nouvelle loi à ce sujet entrera en vigueur le 1er janvier 2014. Une grande partie de ce que nous avons écrit sur le sujet sera bon pour la poubelle ! » Un exemple parmi d’autres. Qui démontre que les mœurs précèdent le législateur. « Les pratiques, les usages évoluent tellement vite ! La loi est dès lors toujours à la traîne. »
Il fut pourtant un temps où les textes législatifs en la matière coulaient des jours relativement tranquilles. Une époque où le mariage était une norme largement répandue. Une stabilité qui n’aura pas résisté à mai 68. « À partir de ce moment-là, les choses ont fortement changé », analyse le professeur.
Révolutions sociales, sexuelles, culturelles mèneront la vie dure à l’institution mariage. Dans l’introduction de l’ouvrage, le psychologue Christian Mormont, professeur honoraire à l’ULg, estime que la généralisation de la pilule contraceptive (légalisée en France dès 1967) se révèle « le fait sans doute le plus bouleversant dans le domaine du couple. […] Dès l’instant où un moyen contraceptif sûr a été disponible, le lien fatal entre rapport sexuel et fécondation a été dénoué et la sexualité comme pulsion érotique a pris le dessus sur la sexualité procréatrice. Ainsi, il a suffi que le désir sexuel puisse se satisfaire sans conséquence catastrophique pour que tout change. Les freins moraux, que l’on croyait bien ancrés, ont rapidement cédé aux pulsions érotiques […] La sexualité n’étant plus strictement inscrite dans le cadre du mariage, celui-ci perd de sa nécessité, au moins tant qu’il n’y a pas d’enfant. Le concubinage, longtemps infâmant, devient ainsi le mode le plus commun d’entrée dans la vie à deux. »
Tant et si bien que le mariage semble aujourd’hui moins populaire que la cohabitation légale. Ainsi pour la première fois en Belgique, entre le 1er janvier et le 10 juin 2013, le nombre de nouveaux cohabitants légaux (32.510 couples) a supplanté celui des mariés (24.372). Des données à relativiser, toutefois, puisqu’on oublie souvent que la cohabitation légale se veut un statut accessible à deux personnes partageant la même résidence, mais pas nécessairement le même lit (frère et sœur, parent-enfant, amis, etc.) ! A contrario, il ne faudrait pas davantage omettre la possibilité que constitue la cohabitation de fait, difficilement quantifiable puisque ne nécessitant aucune signature de documents administratifs.
Mariés, cohabitants : tous égaux ?
« La cohabitation de fait s’est à mon sens développée notamment en raison de la difficulté de divorcer », juge Paul Delnoy. Qui rappelle qu’il n’y a pas si longtemps, pour divorcer par consentement mutuel, les futurs ex-maris et ex-épouses devaient passer trois fois devant le président du tribunal et répondre chaque fois par l’affirmative à la question « êtes-vous sûrs de vouloir vous séparer ? » avant de demander au tribunal de pouvoir officiellement ôter leurs alliances. Il fallait donc, pour tenir compte de l’évolution des mœurs, créer un statut alternatif, qui permette d’une certaine manière de formaliser une union sans pour autant s’embourber dans de longues procédures en cas de séparation : la cohabitation légale.