Utiliser les arbres pour extraire les métaux lourds des sols pollués. La bonne idée ! La communauté scientifique y travaille avec succès depuis près de trente ans. Parmi les ligneux étudiés, le saule et ses multiples espèces et sous-espèces offrent des perspectives prometteuses. Sauf que voilà : les arbres qui concentrent avec succès les métaux dans leur biomasse tout en produisant du bois en abondance pourraient, en réalité, cacher une santé vacillante. Bon à savoir pour les gestionnaires de sites pollués…
On sait aujourd’hui, avec beaucoup plus de précisions qu’autrefois, quelles sont les plantes capables d’accumuler – parfois à de hautes concentrations – les métaux lourds tels que le zinc, le cadmium, le cuivre, le plomb, le nickel. Une véritable aubaine, puisque la plupart de ces métaux (les spécialistes parlent souvent des ETM, « Eléments traces métalliques ») sont toxiques pour l’écosystème et, in fine, pour l’homme. Dès lors, l’idée a surgi : pourquoi ne pas utiliser ces plantes et, dans la foulée, des arbustes et des arbres dotés des mêmes propriétés pour assainir les sols pollués par l’activité industrielle ou domestique ? Mieux : en ayant recours à des espèces ligneuses, on pourrait faire d’une pierre deux coups. C’est-à-dire ôter la pollution des sols et produire de la biomasse, par exemple du bois susceptible de servir comme combustible.
En 1983, le terme « phytoremédiation » apparaît pour la première fois dans la littérature scientifique. Il désigne l’ensemble des techniques utilisant des végétaux et permettant de lutter contre les risques liés aux polluants. Celles-ci sont basées sur les mécanismes de tolérance dans le sens où, malgré les divers stress induits par des quantités élevées de métaux, certaines espèces végétales parviennent manifestement à survivre et à se reproduire sans encombre. « Pendant un quart de siècle, les recherches en matière de phytoremédiation se sont principalement concentrées sur la phytoextraction, commente Aricia Evlard, du Laboratoire de Toxicologie Environnementale de Gembloux Agro-Bio Tech. Il s’agit des mécanismes de tolérance par lesquels la plante parvient à extraire les polluants du sol et à les concentrer dans les parties récoltables : les tiges et les feuilles. Mais d’autres végétaux peuvent à l’inverse, maintenir les métaux au niveau des racines et de la rhizosphère, soit cette zone du sol influencée par ces racines et les microorganismes qui y sont associés. Ces végétaux seraient quant à eux à privilégier en phytostabilisation. » Deux concepts qu’il convient donc de bien distinguer.
Le saule, à la rescousse des cours d’eau
Pour bien comprendre l’acquis de la thèse de doctorat défendue en mai dernier par Aricia Evlard, il faut brièvement évoquer le contexte d’émergence de ses travaux. Courant 2009, la jeune chercheuse est plongée dans le projet ECOLIRIMED. Etalée entre 2008 et 2012, cette initiative européenne, placée sous la bannière Interreg IV et coordonnée par le Centre wallon de recherches agronomiques (CRA-W), vise à identifier les meilleures espèces ligneuses locales pour consolider et assainir les berges des cours d’eau dans le Nord de la France, en Belgique et au Luxembourg.
En consultant la masse d’informations récoltées ces dernières années sur le saule (une espèce réputée pour sa croissance rapide et ses facultés d’adaptation à divers écosystèmes), Aricia Evlard s’interroge. Ne fait-on pas fausse route ? Ne s’obstine-t-on pas à chercher - peut-être en vain - « l’arbre miracle », une sorte de « grosse pompe photovoltaïque » idéalisée, qui serait capable à la fois de dépolluer l’environnement en accumulant les métaux et de produire de grandes quantités de biomasse pendant de longues années ? « Si l’on considère uniquement la phytoextraction pour assainir un sol pollué, les espèces proposées aux gestionnaire de sites pollués entraîneraient une durée d’assainissement des sols variant de 30 à … 600 ans. Or les responsables d’aménagement doivent répondre à des objectifs à court terme : dépolluer, et sans traîner ! De même, les études réalisées sur l’assainissement par les ligneux n’intègrent pas toujours une étude de la « santé » de l’arbre. Les arbres pouvant vivre longtemps, des individus accumulateurs pourraient, en réalité, s’avérer peu tolérants à la pollution et, au bout de quelques années, s’affaiblir et finir par mourir. Qu’arriverait-il si nous, les scientifiques, nous leur conseillerions ces arbres accumulateurs mais intolérants à long terme ? Il est donc crucial, dans le cadre général de la phytoremédiation, d’intégrer un suivi de la tolérance aux métaux de ces ligneux ».