De quoi la littérature belge est-elle le nom ?
Par contre, pour Gustave Charlier qui inaugure le paradigme théorique lié à la langue, il n'existe pas de littérature belge unitaire dont les lettres françaises et flamandes ne seraient que deux panneaux d'un même diptyque. En 1938, il prend acte de l'existence d' « une littérature se développant dans une langue qui lui est commune avec la littérature d'un autre pays », à savoir la France. Sur cette « littérature seconde » – concept dépourvu de sens péjoratif – « pèse tout le poids de la tradition littéraire propre à la langue qu'elle emploie », estime-t-il. S'opposant à la conception quelque peu étriquée du précédent, Joseph Hanse voit plus grand en 1964 : «La communauté de langue [...] crée une unité plus réelle que l'appartenance nationale. » D'où l'habitude qu'il faudrait prendre, à ses yeux, de « parler de littérature française, de littérature française de Belgique ou des lettres françaises de Belgique ». Cette ouverture sur un même espace culturel ou civilisationnel, on la retrouve en 1968 chez Maurice Piron avec la « francophonie littéraire », notion alors émergente à laquelle il donne une réelle consistance théorique. Au même titre qu'à ces « littératures marginales » – de Belgique, de Suisse romande et du Canada français – pour lesquelles « l'heure a enfin sonné [...] d'affirmer leur vocation ». En 1980, Marc Quaghebeur amorce un virage résolument idéologique. En Belgique, entre la littérature et son contexte de production, il y a un énorme imposé sociétal au point que, observe-t-il, l'« absence de rigueur semble hélas entacher la plupart de nos manuels littéraires où l'idéologique semble décidément devoir l'emporter sur le cognitif ». Cet état de fait donne lieu à de regrettables manipulations où les intérêts régionaux – wallons par rapport aux bruxellois, notamment – ont manifestement leur part. Et pourtant, espère-t-il, « les lettres belges de langue française constituent [...] un champ d'investigation exceptionnel pour qui accepte, sans œillères ou facilités, de bien vouloir repenser le statut de l'écriture entre langue, histoire et culture ». C'est là un défi qu'a relevé Jean-Marie Klinkenberg, en faisant appel aux ressources d'une sociologie historique. En 1981, conscient de ce que la littérature est plus le fruit d'un jeu de forces qu'un processus désincarné de création, il y expose son « modèle gravitationnel » destiné à éclairer les stratégies des périphéries littéraires : phase centrifuge (1830-1920) d'indépendance à l'égard de Paris ; phase centripète (1920-1960) de rapprochement avec la capitale française ; phase dialectique (à partir de 1960), synthèse de la thèse nationaliste et de l'antithèse « apatride » (2). Le but ultime de l'écrivain belge restant toujours, quête de légitimité oblige, de « se faire éditer et reconnaître à Paris ». José Lambert, enfin, considère en 1983 que la notion de « littératures nationales » est à réinterroger car, se demande-t-il, existe-t-il vraiment des frontières – qu'elles soient de nature politique ou linguistique – entre les littératures ? D'où la nécessité, pour lui, de jeter les bases d'un système explicatif vraiment opérationnel, seul capable de fournir « une clef permettant de mieux caractériser les soi-disant littératures nationales ainsi que les caprices auxquels elles semblent être soumises ». ![]() (2) Ce sont ici les appellations révisées de ces phases qui sont utilisées, et non celles du texte de 1981 publié dans l’anthologie. Page : précédente 1 2 3 suivante
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