Pouvoir dénombrer ces bactéries, c’est aussi, nous l’avons dit, pouvoir caractériser l’altération, c’est-à-dire la dégradation des aliments: telle bactérie est-elle présente, dans un aliment donné, en quantités excédant la concentration maximale au-delà de laquelle elle lui donnera un mauvais goût ou une mauvaise odeur ? Les bactéries majoritaires ne cachent-elles pas d’autres bactéries, moins nombreuses mais qui, dans certaines conditions, pourraient se multiplier et altérer l’aliment? « Il n’est actuellement possible de répondre à ces questions que de façon tout à fait partielle, et au prix de manipulations fastidieuses et coûteuses ».
Analyse métagénomique ciblée
Dépassant ce constat, Georges Daube et son collaborateur Bernard Taminiau viennent cependant de développer une méthode d’analyse et de dénombrement capable de « répondre à l’ensemble de ces questions, à quelques nuances près, c’est-à-dire, tout à la fois, d’identifier et de dénombrer. On parle d’ « analyse métagénomique ciblée ». Cette méthode permet de dénombrer d’un seul coup l’ensemble des bactéries présentes dans l’échantillon analysé. L’analyse métagénomique ciblée, c’est identifier les membres de la communauté microbienne d’un biotope afin d’en étudier la composition et les évolutions. « Dans ce but, nous examinons le génome des bactéries et choisissons de nous intéresser à une séquence d’ADN particulière, dite ubiquiste (présente dans toutes les bactéries parce qu’elle est un fragment nécessaire à leur subsistance), explique Bernard Taminiau.
La séquence d’ADN ribosomial 16S, cible bactérienne la plus fréquemment utilisée, est constituée de zones hyperviables bordées de zones conservées, qui sont en quelque sorte, pour chaque bactérie, des signatures souvent propres à l’espèce. L’analyse métagénomique repose sur le « séquençage » des zones hypervariables. Une opération qui vise à obtenir la séquence des bases génétiques dans le but de faire correspondre à la séquence génétique analysée une identité bactérienne. « En d’autres termes, on peut dire, en fonction de ces zones hypervariables, à quel organisme vivant correspond la bactérie analysée. Dans les zones conservées, les “lettres” du code génétique seront quasiment toujours dans le même ordre, mais dans les zones variables, les lettres, a priori dans le désordre, seront pratiquement toujours les mêmes pour les bactéries d’une même espèce. En somme, plus des bactéries ont une signature semblable, plus elles sont proches au registre taxonomique, c’est-à-dire en matière de classement. Connaître les séquences des brins d’ADN des bactéries revient donc soit à pouvoir les identifier précisément, soit, si cette bactérie n’est pas encore connue, à la caractériser ».
L’analyse métagénomique, c’est obtenir des informations d’identité et de proportions au niveau des micro-organismes en se basant sur un tri des séquences. Les récents développements de la technique informatique prennent donc ici toute leur importance puisque l’opération de séquençage implique une analyse en masse de données et l’obtention d’un grand nombre de séquences indépendantes correspondant chacune à une bactérie. Ces séquences sont elles-mêmes regroupées dans « un immense fichier, qu’il convient alors d’analyser. On se trouve ici sur le terrain de la bioinformatique, note Bernard Taminiau. Cette base de données colossale laisse alors apparaître que certaines séquences sont plus fréquentes que d’autres, de la même manière que dans un livre, certains mots sont plus fréquents que d’autres. Or, constater que certaines populations de bactéries existent en plus grandes proportions que d’autres dans l’aliment analysé, c’est être en mesure, sur base de ces proportions et de la nature des bactéries détectées, de prédire les types d’altération que l’aliment subira ».