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Le pape François se trompe-t-il ?
23/05/2013

subprimes2Mais, au juste, quels sont ces fameux intervenants de marché ? A l’analyse, il apparaît que plus de quatre-vingt-cinq pour cent des transactions, tant en volume qu’en valeur, sont le fait d’institutionnels : fonds de retraite, compagnies d’assurance, banques d’investissement, sociétés de placement, fonds monétaires, sociétés patrimoniales et autres « Hedge funds ». Bref, des opérateurs dont le seul objectif est de préserver le capital – c'est-à-dire l’épargne ! – qui leur a été confié, ou qu’ils ont constitué. Lorsqu’on cible les marchés, c’est donc toujours… l’épargne qui est visée. Ce qui n’implique nullement que cette dernière soit nécessairement et toujours légitime !

Comme on a pu l’observer au cours de ces dernières années, interdire les ventes à découvert n’a nullement empêché les grandes banques de perdre une partie significative de leur capitalisation boursière. Ce ne sont pas les agences de notation qui ont empêché la formation d’un gouvernement en Belgique, ni retardé l’accroissement du plafond de la dette fédérale aux Etats-Unis. Ce ne sont pas non plus les Naked CDS (« Credit Default Swap ») qui sont responsables de la crise de solvabilité de la Grèce ou de Chypre. Et, ce ne sont certainement pas les marchés financiers qui sont à l’origine de l’escamotage monétaire mondial auquel nous assistons aujourd’hui. D’ailleurs, le fait que l’ « Etat n’ait plus d’argent » – je cite, sans exception, tous les chefs de gouvernement actuels – ne semble pas avoir grande influence sur le train de vie de celles et ceux qui sont sensés le servir.
 
Comme le note Galbraith dans une de ses dernières interviews : « Under capitalism, man exploits man. Under communism, it's just the opposite. » Son profond sens de l’humour ne fait que souligner la pertinence de l’observation faite par ce redoutable observateur de la vie sociale qu’est Berger (12) : « The critics of capitalism are right when they reject policies that accept hunger today while promising affluence tomorrow (and they are right when they question the promise). The critics of socialism are right when they reject policies that accept terror today on the promise of a humane order tomorrow (and, again, when they question whether such a tomorrow is believable). » Fin des illusions, donc ! « Liberté » et « Egalité » sont antinomiques, comme l’enseigne l’histoire (13). Entre « The freedom to chose » et « The road to serfdom », il nous faudra nécessairement trouver un compromis intelligent…

Alors qu’on assiste à un sérieux regain de tension géopolitique – illustré par la récente militarisation de la Méditerranée et par le désastre humanitaire et économique moyen oriental –, ne devrions-nous pas éviter de « Jeter le bébé avec l’eau du bain » ? La solution intelligente ne consisterait-elle pas à mieux encadrer les marchés, à assurer leur bon fonctionnement, à les mettre au service du bien commun et, pourquoi pas, du « Bien » tout court ? S’il est incontestable que certains – pas nécessairement les plus nombreux ! –, exploitent leurs imperfections, ne serait-il pas possible à d’autres – peut-être vous ? –, de mettre la puissance et l’efficacité des marchés au service du progrès économique, au service d’une plus juste répartition des richesses et, enfin, au service d’une société plus responsable, plus attentive et plus solidaire ? La réponse, comme toujours, est dans la question…

Ainsi, le pape François se trompe-t-il ? Bien évidemment : non ! Par cette ferme prise de position, il vient même de prouver sa pleine compréhension des enjeux, sa parfaite information, et sa maîtrise de l’art diplomatique…

(12) Berger P., 1974, Pyramids of sacrifice: political ethics and social change, (New York: Penguin Books).
(13) Durant W. & A., 1968, The Lessons of History, (New York: Simon & Schuster).

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