Utiliser des biocarburants pour remplacer les carburants fossiles ? Pas si vite ! D’un strict point de vue environnemental, l’opération n’est pas gagnante à tous les coups. Il faut en effet tenir compte de bien d’autres facteurs que la réduction des gaz à effet de serre, voulue par la réglementation européenne, pour en arriver à comparer ce qui est comparable. Si l’on veut envisager objectivement l’ensemble des impacts environnementaux, une méthode s’avère particulièrement pertinente: l’Analyse de cycle de vie (Life Cycle Assessment). Mise en œuvre par une ingénieure chimiste de l’Université de Liège, cette méthode a abouti à des résultats instructifs sur le bioéthanol.
Le « E 5 », vous connaissez ? Il s’agit de l’appellation technique du mélange essence/bioéthanol, tel qu’il est pratiqué dans plusieurs pays européens, dont la Belgique. Les voitures à essence y circulent avec un carburant composé à 95 % d’essence traditionnelle et 5 % de bioéthanol. Quel que soit le mélange (parfois, la proportion de bioéthanol monte jusqu’à 85 %), ce dernier est fabriqué le plus souvent à partir de betteraves. Mais il arrive qu’on utilise du maïs ou du blé, voire de la canne à sucre, par exemple en Amérique du Sud où elle pousse abondamment. Le Brésil est d’ailleurs, depuis près de quarante ans, l’un des principaux pays producteurs de bioéthanol au monde. Là-bas, les automobilistes roulent en bonne partie grâce à un mélange riche en carburant « vert ». Mais l’Amérique du nord est également très friande de biocarburants (aussi appelés agrocarburants). Aux Etats-Unis, c’est surtout à partir de maïs et de blé qu’on fabrique le fameux carburant végétal. Comme en Europe, d’ailleurs, même si on peut, chez nous, ajouter la betterave sucrière à la liste des matières premières les plus couramment utilisées.
Le recours à ces carburants non fossiles est une bonne chose pour les économies dépendantes des énergies fossiles. Il représente aussi une alternative intéressante sur le plan environnemental, puisqu’il permet de réduire les émissions de gaz à effet de serre. Encore faut-il être très prudent pour arriver à ce noble objectif. En effet, si on transforme des sols riches en carbone en cultures de matières premières, le carbone peut être relâché dans l’atmosphère et l’on n’atteint pas la cible voulue. On peut même faire pire que mieux ! On court droit à l’échec, par exemple, si le processus de fabrication du biocarburant en usine est gourmand en énergie fossile, car on contribue là aussi à d’importantes émissions de gaz à effet de serre (GES). C’est la raison pour laquelle la réglementation européenne a prévu une disposition importante : pour être admis dans nos réservoirs, les biocarburants doivent entraîner une réduction d’au moins 35 % de GES par rapport aux carburants fossiles. Attention : c’est tout leur cycle de vie qui est visé, y compris le procédé de fabrication et le changement direct d’affectation des sols éventuellement entraîné par leur mise en culture.
Cette condition environnementale, inscrite dans une directive de l’Union, pourrait d’ailleurs être élargie à d’autres facteurs. Car l’impact sur l’environnement de la fabrication des biocarburants ne se limite pas, loin s’en faut, aux gaz à effet de serre. Les cultures de maïs, de blé, de betteraves, de canne à sucre… ont nécessairement des conséquences importantes en matière d’utilisation d’eau, de conservation de la biodiversité ou d’émissions d’autres polluants. Sans compter que la transformation industrielle a recours à divers produits chimiques. Tous ces impacts environnementaux doivent être pris en compte lorsque l’éthanol obtenu par la fermentation du végétal sert à la fabrication d’un carburant, mais aussi lorsqu’il sert à la fabrication d’éthylène (1), le monomère essentiel de l’industrie des matières plastiques. On parle, dans ce cas, de la filière « bioplastique ».