Le dernier volet des recherches de Momar Talla Guèye a porté sur les huiles essentielles dégagées par certaines plantes aromatiques. « Depuis quelques années, on sait que celles-ci ont des propriétés intéressantes pour le contrôle des ravageurs, soit via le simple contact, soit parce qu’elles sont inhalées par ceux-ci. Ce type d’usage est d’ailleurs bien connu des paysans, même si leurs explications sont souvent discordantes quant à l’efficacité des huiles: celles-ci produisent-elles leurs effets pendant un mois, cinq mois, douze mois ? Et sur quels insectes en particulier ? Ce genre de questionnement est d’autant plus vital que, dans nos pays chauds, l’évaporation est supposée se dérouler assez rapidement ». Le chercheur sénégalais s’est plus particulièrement intéressé à deux espèces de Lamiacées: Hyptis suaveolens et, surtout, Hyptis spicigera, largement utilisée par les cultivateurs. En effet, lors de la construction des greniers, ces derniers ont coutume, dans certaines régions, d’intégrer la plante dans la charpente du grenier pour servir de répulsif à l’égard des insectes.
En comparant la teneur en huiles essentielles de ces plantes avec les données obtenues dans d’autres pays (notamment au Cameroun), Momar Talla Guèye a pu mettre en évidence l’importance de deux phénomènes. D’abord, la nécessité pour l’agriculteur de prélever Hyptis à l’époque où le pouvoir répulsif de la plante est maximal : en décembre et en janvier. Cela, beaucoup le savent déjà sur le terrain et le mettent régulièrement en pratique. Encore faut-il disposer au mieux les huiles dans le grenier – et c’est le deuxième phénomène mis en évidence – afin de maximaliser leurs effets. « L’effet répulsif est supérieur lorsque la plante est intégrée à une récolte soigneusement disposée en « sandwich », c’est-à-dire lorsque les épis de maïs sont déposés sur une couche de la plante et ainsi de suite en couches successives empilées. Une variante est possible : envelopper complètement le stock d’épis dans une masse constituée de végétaux. Or ce type de disposition est loin d’être connu et pratiqué dans toutes les régions. Le promouvoir là où il est inconnu pourrait s’avérer pertinent ».
De telles découvertes pourraient avoir des conséquences bien au-delà du Sénégal. Le Boscia, par exemple, se rencontre de la côte atlantique jusqu’au Soudan, en passant par le Burkina Faso, le Niger, l’Egypte… L’arbuste est à portée de main, disponible dans de très vastes zones, et ne nécessite aucun transport sur de grandes distances. « Avec l’avènement des pesticides, les cultivateurs confrontés
à la détérioration de leurs stocks ont pris l’habitude de se tourner vers les sachets de pesticides, de saupoudrer et puis d’attendre… Pour les dissuader de ce réflexe et les sensibiliser à des méthodes plus naturelles, il est fondamental de pouvoir objectiver et quantifier l’importance des facteurs liés aux plantes et à leurs composés. Une fois connus, ces facteurs peuvent intervenir en complément aux connaissances paysannes traditionnelles, bien plus élaborées qu’on ne le pense parfois. Ce qui compte, c’est la complémentarité : multiplier sans relâche les allers et retours entre l’expérimentation de laboratoire et les observations de terrain, directement ancrées dans les réalités locales ». Travail de longue haleine, certes, mais passionnant.