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Peste soit de ces insectes !
03/05/2013

C’est dans ce contexte qu’on peut situer les efforts récents de nombreux gouvernements pour promouvoir une recherche davantage axée sur la promotion des cultures vivrières et, singulièrement, sur des méthodes alternatives aux pesticides : plus naturelles, plus réfléchies, basées davantage sur l’observation de la nature et les connaissances traditionnelles des paysans. Du fait que les pesticides ne semblent pas pouvoir être abandonnés du jour au lendemain, on parle ici d’une gestion « intégrée ». Mais l’objectif, à terme, consiste bel et bien à pouvoir s’en passer partout où c’est possible réduisant ainsi, non seulement les risques pour la santé publique et l’environnement, mais aussi la facture de l’agriculteur.

Fin connaisseur du monde agricole sénégalais et intrigué par les pratiques agricoles traditionnelles qu’il observe chez les paysans, Momar Talla Guèye s’est penché sur le rôle de certains végétaux locaux dans la protection des récoltes. Dans une première phase menée en laboratoire, il a pu démontrer que les récoltes de maïs, traditionnellement stockées dans des greniers en milieu rural (généralement constitués de tiges de Bambou, de branches et de bouse de vache), peuvent être efficacement protégées contre les insectes ravageurs - spécialement le charançon du maïs - par la poudre obtenue lors du broyage des épis vides du végétal (fanes). En soi, cette découverte n’a rien de révolutionnaire puisque cette pratique est bien connue de certains paysans, du moins dans certaines régions. La véritable innovation consiste à avoir mis à jour les conditions d’efficacité maximale de cette méthode et, surtout, d’avoir démontré qu’elle pouvait s’avérer quasiment aussi probante, dans certains cas, que le pesticide de synthèse généralement utilisé (Actellic).

« Quand le grain est laissé sans aucune protection, on peut s’attendre, en moyenne, à des dégâts grimpant jusqu’à 40 % de la récolte au bout de quatre mois de conservation (en cas d’infestation par le seul charançon), explique-t-il. Mais si l’on conserve les grains dans des fanes, la situation change du tout au tout. Ainsi, si le poids des fanes intégré à la récolte se limite à 0,8 % du poids total des denrées stockées, 15 % de la récolte connaîtra des dégâts ; et, à terme, le cultivateur peut s’attendre à 5 % de pertes. En revanche, si on fait grimper la proportion des fanes à 4 % du poids total de la récolte, les dégâts chuteront à 1 % ; les pertes seront limitées à 0,3 %. L’utilisation d’un produit naturel permet donc de garantir la protection quasiment intégrale de la récolte, égalant pratiquement le pesticide de synthèse. Mais sans ses inconvénients ! Par la suite, j’ai pu confirmer ces résultats hors labo, en conditions réelles, grâce à des observations réalisées tant dans des greniers préexistants d’agriculteurs que dans des greniers construits pour eux à des fins expérimentales (dans la région de Kédougou, dans l’est du pays)».

Momar Talla Guèye s’est ensuite intéressé au rôle de protection des récoltes joué par Boscia senegalensis. Pouvant atteindre de deux à trois mètres de hauteur, cet arbuste est très répandu dans les régions sèches du Sénégal. La plante est couramment utilisée à des fins médicinales, voire alimentaires. « Des travaux antérieurs – ceux de Dogo Seck (2) – avaient mis en évidence le rôle joué par la libération de l’isothiocyanate de méthyle par dégradation enzymatique à partir d’un précurseur (la gluocapparine) dans l’intoxication d’un ravageur : dès lors que Boscia senegalensis est endommagé, par exemple  par la piqûre d’un insecte, ce composé, qui est un métabolite secondaire qui sert de défense à la plante, est émis dans l’atmosphère. L’insecte qui l’inhale est alors intoxiqué. Connu pour protéger efficacement les récoltes de niébé et d’arachide contre les bruches (NDLR : une famille de coléoptères particulièrement dommageables pour les récoltes), Boscia méritait d’être testé, selon moi, sur d’autres ravageurs des stocks de semence. En outre, il fallait investiguer la piste de l’efficacité variable de ce végétal selon son origine géographique, l’état physiologique des organes et la période de récolte ».

(2) Ces travaux ont été réalisés à l’Unité d’Entomologie fonctionnelle et évolutive de Gembloux Agro-Bio Tech.

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