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Une façon de se nourrir peu banale
28/01/2013

La chercheuse liégeoise a d’abord voulu savoir quels éléments chimiques étaient importants pour le développement des bactéries chimio-synthétiques. L’expérience est simple en apparence : dans des aquariums pressurisés, cinq récipients contenant cinq milieux différents (de l’eau de mer contrôle, de l’eau de mer enrichie soit en souffre, soit en méthane, soit en fer et soit en hydrogène), plus un apport en molécules carbonées organiques ou inorganiques dissoutes. Dans chaque éprouvette, on plonge une crevette durant quelques heures. Un marqueur biologique ou isotopique permet ensuite de mesurer la proportion de carbone incorporé par les bactéries, en d’autres termes de vérifier dans lequel des cinq milieux le microbe fabrique le plus de nouvelles matières organiques. « Après quelques heures d’immersion, constate Julie Ponsard, on ne voit pas une grande différence entre les milieux. Chaque élément chimique paraît aussi important et est potentiellement utilisé par les bactéries. »

La seconde partie de l’étude visait à mesurer un éventuel transfert de matière organique dissoute entre la bactérie et la crevette. Pour cette démonstration de l’existence de la symbiose, la chercheuse liégeoise a disséqué ses crevettes en plusieurs morceaux, afin de vérifier dans quelle partie de l’animal les transferts de marqueurs biologiques et radioactifs sont observés. Résultat: c’est d’abord dans la carapace que la proportion de traceurs est la plus importante, ainsi que dans les autres tissus où les bactéries sont implantées ; viennent ensuite les branchies, qui sont aussi des tissus tégumentaires et très vascularisés, et la queue de l’animal (morphologiquement la fin de la carapace) ; puis les muscles, le système digestif, etc. « Nos observations (publiées dans la revue ISME, International Society for Microbial Ecology)(1) confirment l’hypothèse symbiotique, explique Julie Ponsard. Il y a bien un transfert important de petites molécules organique dissoutes entre les bactéries et la crevette via la carapace, qui s’avère donc perméable. Le système digestif serait secondaire. Ce qui ne signifie pas qu’il est inutile car, in situ, la crevette pourrait continuer de consommer des bactéries non symbiotiques, voire d’autres proies. Les conditions abyssales ont peut-être obligé l’animal à développer deux systèmes alimentaires complémentaires. »

Et sa cousine de la Mer du nord ?

2crevettesPour approfondir ses recherches, Julie Ponsard s’est aussi intéressée à une très lointaine cousine de la crevette des abysses : la crevette grise de la mer du Nord. On peut effectivement faire l’hypothèse que dans le milieu dominé par la photosynthèse qui est le sien, elle a développé un régime alimentaire très différent. Néanmoins, les substances organiques dissoutes abondent dans le milieu marin et pourraient constituer une source d’alimentation non négligeable. Crangon crangon, c’est son nom scientifique, vit dans les eaux peu profondes du plateau continental. A marée basse, il suffit de laisser trainer un filet sur le sable pour en récolter de grandes quantités. Pour son expérience, Julie Ponsard s’est rendue à Bray Dunes (France) en juillet 2010 et à Wimereux en septembre 2011. Morphologiquement, la crevette grise est assez différente de la crevette des abysses. L’espace branchial entre le corps de la crevette et la carapace, notamment, est beaucoup moins volumineux et il n’abrite pas de bactéries symbiotiques, sinon en petite quantité et de manière plutôt accidentelle. « Mais nous avons voulu démontrer que sa carapace était perméable aux petites molécules dissoutes, explique Julie Ponsard, ce qui conforterait l’hypothèse du régime symbiotique de sa cousine des abysses. »

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