Article rédigé par :
D'après les recherches de :
Par Jean Manfroid.
Directeur de recherches FNRS, département d'astrophysique, géophysique et océanographie de l'université de Liège. Cet article est paru dans le numéro de décembre 2012 de la revue "Le Ciel" de la société astronomique de Liège.
Peu d’endroits en Belgique sont propices à l’observation du ciel profond et encore moins à l’observation près de l’horizon, là d’où peuvent surgir des comètes encore inconnues. Cela explique la maigre moisson cométaire réalisée jusqu’à présent dans notre pays.
En 1941, Eugène Delporte (1882®C1955), l’astronome belge qui avait fixé les limites actuelles des constellations (1), a co-découvert la comète 57P/du Toit-Neujmin-Delportedepuis l’observatoire d’Uccle. Le ciel était alors bien plus noir que maintenant surtout que l’état de guerre avait grandement éliminé la pollution lumineuse. En cette époque tragique, les communications en Europe étaient difficiles et lentes, ce qui explique la reconnaissance de trois découvreurs pour une même comète. L’histoire compliquée de cette comète se termina peut-être en 2002 lorsque les astronomes travaillant au télescope de 2m20 d’Hawaii constatèrent qu’elle s’était brisée en un chapelet de mini-comètes couvrant un demi degré dans le ciel, soit un million de kilomètres. Cela n’est pas sans rappeler la comète Schoemaker-Levy 9 qui se brisa en passant près de Jupiter en 1992 et s’éparpilla en de nombreux débris qui s’abattirent sur la planète géante deux ans plus tard.
En 1951, année faste, deux comètes périodiques étaient découvertes à Uccle :
49P/Arend-Rigaux et 50P/Arend (2). En 1956, c’est encore depuis Uccle qu’était découverte une nouvelle comète, la belle Arend-Roland.
Ensuite un grand vide, un quart de siècle s’est écoulé avant qu’un nouvel astre chevelu soit trouvé par un belge, la comète Heck-Sause (C/1973A1), le nom de l’astronome liégeois André Heck (3) étant associé à celui de son assistant français Gérard Sause. L’observation astronomique s’était alors organisée loin de la Belgique, et c’est à l’observatoire de Haute-Provence que cette découverte a été réalisée.
N’oublions pas une sixième comète belge, un peu particulière, 133P/Elst-Pizarro (4). À la fois comète et astéroïde, ou ni l’une ni l’autre, présentant de façon récurrente une queue filiforme au lieu des panaches habituels, 133P fait partie de la catégorie sélecte des « Main Belt Comets » (MBC). Cette découverte a été effectuée beaucoup plus loin, sous des cieux encore protégés, dans les Andes chiliennes.
Il a fallu attendre le 18 siècle pour que l’on constate qu’outre les comètes spectaculaires, bien visibles à l’oeil nu, il y en avait d’autres, plus nombreuses mais bien faiblardes au point que les astronomes de l’époque, en particulier Charles Messier (1730-1817), ont établi des listes d’objets nébulaires pouvant être confondus avec elles. La traque des comètes demandait une connaissance parfaite du ciel qu’il fallait balayer inlassablement. Beaucoup d’amateurs ont utilisé cette méthode, maintenant de plus en plus délaissée avec l’arrivée des capteurs électroniques. De nos jours, des télescopes au sol et dans l’espace mitraillent le ciel et la comparaison avec des bases de données révèle rapidement la présence d’une intruse, même la plus faiblarde.
La transition entre ces deux méthodes a été l’imagerie photographique, et c’est par cette technique que toutes les comètes belges ont été trouvées. L’intérêt des plaques photo, avec un télescope approprié, était l’enregistrement d’un grand champ. Mais développer les photos prenait du temps, et la comparaison des clichés avec des atlas ou des clichés antérieurs était très laborieuse. En cette heureuse époque, les amateurs pouvaient encore caresser l’espoir de découvrir visuellement une belle comète pendant que les professionnels scrutaient le ciel de façon plus ou moins systématique avec des chambres Schmidt permettant d’enregistrer en une fois des champs de plusieurs degrés. Des télescopes comme le Schmidt du Mont Palomar ont été abondamment utilisés pour ce genre de travail avec un succès réel. D’autres, moins connus, effectuaient occasionnellement de telles observations, parmi d’autres tâches imposées par les divers programmes de recherches.
C’était le cas du Schmidt franco-liégeois (Grand Schmidt) de l’observatoire de Haute-Provence, où une partie importante des observations étaient consacrées à l’étude des comètes connues, mais où l’on pouvait parfois en chercher de nouvelles, une opportunité qui a été fructueuse puisqu’elle a permis la découverte, il y a juste 40 ans, d’une comète “liégeoise”, la seule à ce jour, C1973A1/Heck-Sause. C’est aussi la seule comète jamais découverte à l’observatoire de Haute-Provence.
En vue de l’initiation d’étudiantse à l’observation astronomique, des séries de champs avaient été choisis alliant intérêt astronomique et éventualité de trouver une comète. L’aspect esthétique n’était pas négligé et les champs montrant galaxies, nébuleuses ou amas étaient privilégiés pour leur caractère motivant. L’amas de galaxies de la Vierge figurait parmi les cibles et la présence de nombreux astres diffus pouvait déjouer la sagacité d’observateurs concurrents. C’est que trouver une comète ne s’improvise pas. Si le hasard a un rôle important, mieux vaut l’aider. Ainsi il n’est pas très utile de chercher de nouvelles comètes brillantes au milieu du ciel en pleine nuit, il y a peu de chances qu’on les ait laissées arriver là incognito. Par contre de très faibles objets pourraient avoir été délaissés. C’est près de l’horizon, à l’aube ou au crépuscule, que peuvent surgir des astres brillants cachés jusque-là par l’éclat du Soleil. Mais les comètes relativement brillantes pouvaient être trouvées plus facilement par l’observation visuelle, par des amateurs scrutant rapidement le ciel avec des jumelles ou des télescopes très ouverts. Il aurait été vain de tenter de les concurrencer avec une technique photographique inadaptée. Les chercheurs liégeois appliquaient donc toute une stratégie pour maximiser leurs chances de succès avec le télescope de Schmidt, en s’attaquant aux comètes faibles. La longueur des poses, plusieurs dizaines de minutes, ne permettait que de balayer une toute petite partie du ciel chaque nuit, mais cela pouvait être fait en profondeur.
Ces longues poses nécessitaient un guidage soigné et continu à l’oculaire, dans le noir absolu d’une coupole souvent glaciale, en compagnie du tic-tac inlassable des horloges sidérale et universelle. Une fois la pose terminée, la photo était développée puis examinée encore toute humide au cas où quelque-chose d’intéressant apparaîtrait. L’examen approfondi suivait le lendemain, après séchage complet de la pellicule.
Comparer les images aux atlas existants ne pouvait se faire à l’ordinateur comme actuellement. C’était un processus laborieux qui demandait de partir de cartes peu détaillées comme celles du Star Atlas d’Arthur Philip Norton ou l’Atlas Cœli d’Antonin Bečvář pour identifier le champ général, puis de progresser avec des atlas plus fournis (par exemple les Atlas Borealis, Eclipticalis, Australis du même Bečvář) pour en arriver finalement aux grandes photos du Palomar Sky Survey. Une autre technique consistait à répéter les mêmes champs à des heures d’intervalle et à les comparer avec un appareil permettant de permuter rapidement les images. Un objet mobile paraissait alors sautiller entre deux positions. Cet effet est reproduit actuellement de manière bien plus commode dans la fonction «/blink/» des logiciels astronomiques. Calculs d’échelle, interpolations de coordonnées, précessions, tout devait se faire manuellement, avec les risques d’erreur que cela comporte quand on travaille dans la précipitation. Les positions étaient tracées sur des calques, mais parfois directement sur les clichés et les cartes. On peut ainsi retrouver quelquefois dans les archives les hésitations et les espoirs de nos prédécesseurs.
La stratégie de recherche au Grand Schmidt s’est avérée payante quand, dans la nuit du 10 au 11 janvier 1973, André Heck et Gérard Sause notèrent un intrus d’aspect diffus parmi les galaxies de l’amas de la Vierge. Deux clichés supplémentaires pris la même nuit montrèrent un déplacement de l’objet. Il s’agissait donc bien d’un astre du système solaire, une comète. Encore fallait-il vérifier que ce n’était pas une comète déjà connue, peut-être découverte très récemment et non encore cataloguée officiellement. Ces vérifications demandèrent quelques coups de fil et l’aide précieuse de François Dossin (1927®C1998), il s’avéra qu’il s’agissait bien d’une nouvelle comète. Un télégramme fut alors envoyé au BCTA (5). C’était encore la nuit aux États-Unis, et François Dossin et Jean-Pierre Swings purent avertir à temps l’observatoire du Mont Palomar où l’astronome Wallace L.W. Sargent (1935®C2012) réussit à prendre une image avec le célèbre Grand Schmidt de 1m22, 12 heures à peine après la découverte.
Première comète découverte en 1973, l’astre reçut la désignation provisoire 1973a, selon le système en vigueur à l’époque, une désignation qui, maintenant que les comètes se découvrent en plus grand nombre, a été traduite en C/1973 A1 (première comète de la première moitié du premier mois de 1973). On lui attribua aussi celle de 1972 VIII selon un système tombé depuis en désuétude (la huitième comète passant au périhélie en 1972).
Sans être spectaculaire, la comète Heck-Sause est un objet relativement imposant. Sa magnitude hâtivement annoncée de 12 devait être proche de 9 ou 10 lorsque l’on analyse les clichés subsistants. Si l’on considère que la comète était loin du Soleil (r=2,72 unités astronomiques) et de la Terre (Δ=2,25 UA) on peut dire qu’elle était intrinsèquement brillante.
Rien qu’en tenant compte des effets géométriques, la magnitude d’une comète doit être corrigée de 5(log(r)+log(Δ)). Cette relation exprime qu’un objet dix fois plus éloigné de nous apparaît cent fois moins brillant et perd donc 5 magnitudes. En même temps, s’il est dix fois plus loin du Soleil il reçoit cent fois moins de lumière et perd encore 5 magnitudes. L’application de cette formule donne pour notre comète une magnitude de 5 aux distances r et Δ de 1 UA, lui assurant une visibilité à l’œil nu. Comme l’activité d’une comète augmente considérablement à l’approche du Soleil, son éclat aurait été encore bien plus grand. Pour tenir compte de ce fait, on corrige empiriquement ®C et localement ®C la formule ci-dessus d’un terme supplémentaire empirique de n*log(r), le facteur n pouvant atteindre jusqu’à 10 ou 20 ce qui aurait signifié un gain additionnel de 4 à 8 magnitudes. Il est donc vraisemblable que, si elle s’était rapprochée de l’orbite terrestre, la comète aurait été spectaculaire.
Las, la distance périhélique de la comète était de plus de 2,5 UA, et ce point avait déjà été dépassé à l’instant de sa découverte. Heck-Sause s’éloignait inexorablement. L’analyse de l’orbite indique une période très longue. Sans doute la comète faisait-elle sa première apparition au voisinage du Soleil en provenance du nuage d’Oort, ce vaste réservoir d’astres glacés aux confins du système solaire.
Des spectres ont été pris rapidement à l’observatoire de Haute-Provence et ils ne montrent que la lumière diffusée par les poussières. La dilution du rayonnement solaire à ces distances n’avait pas suffi à déclencher l’activité des gaz ®C le facteur n dont il était question plus haut rend compte tant bien que mal de cette activation des gaz près du Soleil. Toutes les comètes n’ont pas ce comportement. Les astronomes avaient relevé l’analogie avec la comète C/1950 K1 (Minkowski) qui, 20 ans plus tôt, à une distance au Soleil équivalente, ne montrait quasiment pas de fluorescence des gaz, contrairement à C/1961 R1 (Humason) qui, elle, ne montrait que peu de poussière et beaucoup de gaz.
Sur les premiers clichés, la comète montre une queue d’un demi degré. Les observations réalisées dans les mois suivants font état d’une queue s’étendant sur plus d’un degré et demi en mars 1973 (E.I. Shchukin à Irkoutsk avec un astrographe de 50 cm). La comète était au plus près de la Terre le 11 février. Il est dommage qu’on ne puisse exploiter les clichés profonds pris au Schmidt franco-liégeois dans cette période. Il reste cependant un tirage papier de l’un d’eux (page 384), pris dans la nuit du 29 au 30 janvier et montrant l’extension considérable de la comète.
Après l’annonce de la découverte, la comète a été retrouvée sur des clichés pris le 4 janvier par M. Koishikawa de l’observatoire municipal de Sendai, ce qui montre l’importance d’un examen soigneux des images pour ne pas laisser échapper une découverte. Peut-être cet observateur avait-il adopté la même stratégie qu’André Heck, sans la pousser jusqu’au bout.
La comète était passée au périhélie le 5 octobre 1972, dans l’hémisphère sud. Noyée dans l’éclat du Soleil, et à 2,5 UA derrière lui, elle était inobservable. Grimpant rapidement dans le ciel en décembre et janvier 1973, elle devenait enfin une cible pour les chasseurs à l’affût. En été, une trop faible élongation solaire empêchait à nouveau les observations mais, dès septembre la comète était photographiée avec le Grand Schmidt par François Dossin et elle se montrait étonnamment brillante malgré son éloignement.
Les dernières images ont été prises les 25 et 26 janvier 1974 à plus de 5 UA de la Terre et du Soleil (François Dossin au Grand Schmidt de Haute-Provence, et Elisabeth Roemer au télescope de 2m29 du Steward Observatory).
L’objet d’aspect condensé était donné de magnitude 19,6 par Roemer, mais l’image prise au Schmidt liégeois quelques heures plus tôt semble indiquer un objet sensiblement plus brillant que cette estimation. L’absence d’étoiles de référence est la raison principale de ces écarts.
La comète est maintenant un point insignifiant dans les Poissons à 63 UA, deux fois plus loin que Pluton et Neptune (respectivement à 30 et 32 UA) et que la comète de Halley (33 UA) qui était passée au périhélie en 1986. Par comparaison, les sondes Voyager lancées en 1977 ont été beaucoup plus rapides et sont maintenant à 123 et 100 UA. Quant à la contemporaine de Heck-Sause, la comète Kohoutek, elle a pris une tout autre direction et se balade actuellement dans les Gémeaux à peu près à la même distance, 64 UA.
Si l’apport scientifique de la comète liégeoise n’a pas été très important, on peut insister sur l’aspect éducatif pour les étudiants ayant participé à ces observations et qui sont devenus pour la plupart des enseignants. Cet épisode à constitué l’expérience astronomique de leur vie et sans doute en parlent-ils encore à leurs propres élèves : la vraie astronomie dans un vrai observatoire, la routine des observations, l’excitation de la découverte, les doutes, les vérifications, sans oublier l’aspect médiatique.
Le télescope Schmidt de l’observatoire de Haute-Provence (le « Grand Schmidt » par opposition à un autre, plus modeste, du même observatoire) est un télescope à grand champ constitué d’un miroir primaire sphérique de 87 cm de diamètre et 209 cm de distance focale (cf A. Heck, L’astronomie, 1973, p 241). Une lame correctrice de 62 cm de diamètre est placée au centre de courbure de l’appareil, ce qui lui donne une ouverture effective de 3,36. L’échelle des images est proche de 100 secondes d’arc par millimètre. Leur diamètre de 16,5 cm correspond à un champ de 4,6 degrés. Un tel champ est encore hors de portée des capteurs CCD, d’autant que la surface focale est sphérique. Les films photos existaient en de telles dimensions et pouvaient épouser sans difficulté la surface focale. Afin de bénéficier d’une meilleure stabilité de l’émulsion, ils ont été remplacés par les plaques photographiques après la mise au point ®C au prix de pas mal de casse ®C d’un système permettant de bomber celles-ci et d’épouser la surface focale sphérique du télescope de Schmidt.
Les instruments modernes approchant de telles caractéristiques de champ doivent utiliser des optiques plus complexes, des mosaïques de capteurs, des stratégies d’observation compliquées, le tout secondé par une informatique très lourde.
L’idée de ce télescope franco-liégeois date de 1959, et l’installation définitive a eu lieu en 1970. L’essentiel du programme d’observation liégeois consistait en la traque de comètes en vue de leur étude morphologique : structure de la chevelure, des queues, et leur évolution. Le suivi des astres se faisait à l’oculaire au moyen d’une grande lunette guide fixée le long du télescope. Cette solution qui marche bien pour des étoiles fixes est imprécise lorsqu’il s’agit des comètes dont le noyau est souvent diffus ou trop faible. Un système ingénieux a été mis au point permettant de programmer un déplacement de l’oculaire compensant celui de l’objet. Le guidage pouvait alors se faire, non pas sur la comète, mais sur une étoile voisine.
La mort des émulsions photographiques a signifié la fin de l’imagerie à grand champ sur ce télescope et a conduit à une certaine reconversion avec un capteur de petites dimensions.