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Conflits de succession en Afrique noire
08/01/2013

Des conflits de normes générateurs de souffrances psychosociologiques

Tribunal-de-commercePour sa thèse, l’auteur a réalisé une étude sur base de questionnaires auprès de 1.200 personnes victimes des conflits de normes successorales entre la tradition et la modernité au sein de leur famille. « Mon objectif était d'évaluer l'incidence de ces conflits sur le comportement individuel des personnes et leur rapport aux autres. Cette recherche de psychologie sociale est étroitement liée à la théorie de la dissonance cognitive conçue en 1957 par Léon Festinger. Cette théorie modélise la manière dont les gens vivent et gèrent les contradictions au quotidien. En 1987, lors du trentième anniversaire de sa théorie, Léon Festinger a déploré le fait qu'elle demeure trop dans le contexte du laboratoire. Il a souhaité que les chercheurs aillent davantage sur le terrain. Ma thèse a pour but de montrer l'utilité de cette démarche de terrain ».

Les réponses aux questionnaires montrent que l’ambiguïté générée par la dualité des droits engendre plusieurs types de souffrance psychologique chez les personnes confrontées aux conflits de normes successorales : l’inconfort psychologique (un sentiment de déséquilibre) ; l’anxiété ou l’angoisse ; des affects négatifs liés à soi (être en colère contre soi-même, la honte, le sentiment de dégoût, la frustration, la culpabilité, etc.); des affects négatifs liés à soi et aux autres (sentiment de mépris, d’hostilité, etc.).

L’enquête de terrain montre aussi que les répondants sont plus nombreux à accepter les normes successorales du droit moderne (73,34% des répondants) que celles de la tradition (67%). Moins de la moitié des répondants (44.71%) acceptent en même temps ce que préconisent la tradition et la modernité. « Nous avons remarqué que les enfants des parents divorcés et des veufs sont moins enclins à défendre simultanément les deux normes, car ils ont vécu avec plus d’intensité les conflits successoraux, souligne Joseph Bomda. C’est suite à des situations comme le partage du patrimoine après un divorce ou le décès d’un conjoint (homme surtout) que les conflits entre la tradition et la modernité sont les plus intenses. Ces enfants se sont trouvés face à un dilemme : défier la tradition, ce qui engendre d’être stigmatisé et de subir la colère des ancêtres, ou dénier la modernité et subir l’injustice de la tradition ».

Joseph Bomda estime qu'une adaptation du droit serait nécessaire pour réduire les souffrances des personnes victimes de la dualité actuelle. « Le droit moderne est le bienvenu, car il est inadmissible par exemple qu'une femme ou une fille soit considérée comme une personne-objet. Le droit civil devrait cependant respecter la logique de perpétuation de la personne dans la succession: qu’on divise les biens, mais qu’un membre de la communauté continue à représenter la personne décédée dans la chaîne sociale. Le droit moderne pourrait reconnaître l’existence d’un héritier principal, d’un enfant qui aurait une majorité psychologique sur les autres étant donné les charges sociales associées à son poste (présider à une réunion familiale, aux cultes ancestraux, pouvoir interrompre son travail pour consoler un membre de la famille qui serait affecté par un problème, etc.). Un projet de code de famille et des personnes fait débat à l’assemblée nationale depuis 15 ans. Je ne suis pas juriste, mais il est temps que les dirigeants camerounais prennent le taureau par les cornes et arrêtent de jouer sur deux terrains. Ma thèse aide à leur montrer l’ampleur du choc émotionnel et psychologique que cette dualité implique sur la population ».

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