La succession joue également un rôle important dans la nomination du dirigeant d'une chefferie lorsqu’un chef traditionnel meurt, puisqu’elle s’effectue généralement de façon héréditaire. Or, le chef traditionnel a des pouvoirs considérables. « Il est l’élément spirituel, il sert d’intermédiaire entre la communauté et ses « invisibles », explique l'auteur de la thèse. Il a aussi un grand pouvoir économique car il détient et partage toutes les terres, malgré la création de titres fonciers. Son pouvoir est tellement important que dans nos démocraties africaines, où les hommes politiques n’ont généralement pas de grande assise électorale, il est fondamental qu’ils puissent convaincre un chef de voter en leur faveur, car les populations sont très attachées à leur chef et suivront pour beaucoup ses consignes de vote ».
Le successeur hérite des filles et veuves du défunt !
La place de la fille et de la veuve est l’une des différences les plus spectaculaires entre la succession telle qu’elle est prévue par la tradition et par le droit moderne. Joseph Bomda: « Dans la vision traditionnelle, puisque la personne décédée continue à exister à travers son successeur, ses épouses et ses filles deviennent celles de cet héritier. La fille est considérée comme un bien, puisque sa famille percevra une dot lors de son mariage. Epouses et filles sont donc des personnes-biens, transmises au successeur au même titre que les biens mobiliers et immobiliers. La mère du successeur va, quant à elle, épouser un frère du défunt. La tradition s'est cependant quelque peu adaptée. Une symbolique traditionnelle a été instaurée pour le successeur qui ne désire pas prendre l’épouse du défunt en mariage : la femme s’assied par terre, jambes et pieds tendus, le successeur effectue des mouvements de va-et-vient en l'enjambant au-dessus des pieds. A l'issue de ce rituel, symbole de copulation, elle est libre de se marier avec une autre personne… mais lorsqu’elle mourra à son tour, c’est la famille du successeur (qui a reçu sa dot) qui devra prendre en charge ses funérailles ».
Il est difficile, même pour une femme intellectuelle, de ne pas se plier au droit traditionnel. Elles pourraient se prévaloir du droit moderne pour refuser de se marier à l’héritier de leur mari, mais risqueraient d’être désignées comme responsables si un malheur survenait dans la famille, on les accuserait alors d’avoir attiré des malédictions. « Si une fille s’oppose à la norme traditionnelle en s’appuyant sur le droit moderne, elle se met à dos toute la communauté, note Joseph Bomda. On a assisté à des cas de tentatives de meurtres, d’empoisonnement. Cela dit, il existe aussi des femmes qui sont heureuses de prendre le successeur de leur mari en secondes noces et lui rappellent qu’il doit assumer ce droit. Certaines femmes acceptent de se lier au successeur parce qu’il est riche ou a des qualités humaines qui suscitent l'amour ».
Le pluralisme juridique expose parfois le Cameroun à des critiques quant au non-respect de dispositions de pactes, accords et conventions internationaux qu’il a ratifiés. « En 1999 par exemple, le Cameroun a été interpellé par la Commission des droits de l'homme des Nations unies, qui s'inquiétait des conséquences de la dualité des juridictions sur la gestion de problèmes liés à la condition de la femme. L'évaluateur de la Commission a relevé qu'il existe des dispositions du Pacte international relatif aux droits civils et politiques auxquelles le Cameroun ne peut donner effet en raison de certains aspects du droit coutumier ».