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Conflits de succession en Afrique noire
08/01/2013

Les conflits entre droit traditionnel et droit moderne provoquent encore bien des souffrances en Afrique noire. Une thèse de doctorat en psychologie sociale de l'ULg et de l’Université Yaoundé 1 les analyse à travers l'exemple du droit de succession au Cameroun (1).

Les Européens qui ont colonisé le Cameroun, notamment les Français et les Anglais à la suite des Allemands, n'ont pas fait dans le détail: pour eux, les normes traditionnelles en vigueur à leur arrivée n'ont pas de valeur, il faut les éradiquer et les remplacer par le droit importé d'Europe, lequel droit est aujourd’hui dit moderne ou positif. « Le colonisateur avait une politique d’assimilation, souligne Joseph Bomda, l'auteur de la thèse. Il était convaincu que l’autre n’avait pas de civilisation et qu’il fallait lui en apporter une. Il a donc essayé de détruire les pratiques existantes mais il s’est rendu compte assez rapidement qu’il ne parvenait pas à ses fins en les interdisant. Le colonisateur a alors laissé croire aux populations qu’il acceptait leur logique tout en cherchant à annihiler progressivement leur manière de penser. Il a par exemple laissé aux Camerounais la possibilité de s’adresser aux juridictions traditionnelles, mais leurs décisions n’étaient valables que si elles respectaient les prescriptions du code moderne ».

independance-camerounLors de son indépendance, en 1960, le Cameroun maintient la coexistence du droit dit moderne, parce qu’hérité du colon, et des lois traditionnelles. Dans les contentieux où la coutume peut intervenir (mariages, successions, etc.), le citoyen camerounais peut choisir de se référer à un tribunal coutumier ou moderne. S’il choisit le tribunal coutumier, celui-ci applique les règles traditionnelles mais si ces règles vont à l’encontre des normes du droit moderne, ses décisions peuvent être invalidées par un tribunal. Et selon la région du Cameroun où se déroule le jugement, ce tribunal utilisera le code civil issu du colonisateur français ou le Common Law hérité des colons anglophones. 

La thèse de doctorat réalisée en cotutelle des Universités de Liège et de Yaoundé 1 examine l’incidence psychosociologique de l'opposition entre droit moderne et droit traditionnel à travers l'exemple du droit de la succession, un domaine dans lequel les conceptions européennes et africaines divergent particulièrement. « En Afrique noire, la succession permet à la personne décédée de continuer à exister dans la société, sa place ne disparaît pas avec sa mort, explique Joseph Bomda. Le successeur hérite de ses biens mais aussi de ses droits, de ses rôles et de ses missions. C'est très différent du contexte européen, où l'on hérite des biens et obligations de la personne décédée mais pas nécessairement de son statut social. Par ailleurs, en droit européen, la succession est divisée entre des ordres et des degrés précis alors qu'en Afrique noire, la tradition prévoit que la succession est indivise. Avant sa mort, la personne aura toujours pris soin de désigner à un ami (ou au chef du village) lequel de ses enfants sera son seul et unique successeur ».

Cette différence de conception a des implications très concrètes dans la vie des trois communautés de l’ouest du Cameroun étudiées par Joseph  Bomda (2): « Si la personne décédée était propriétaire de terrains sur lesquels se trouvaient des immeubles, des enfants, une ou plusieurs épouses qu’il entretenait, son successeur hérite de ces terrains mais les femmes et les enfants attendent de lui qu’il continue à subvenir à leurs besoins, à entretenir la concession, etc. Si le défunt était membre d’une société secrète, son successeur y prendra sa place ».

(1) « Eveil, vécu et gestion de la dissonance cognitive en contexte post-colonial africain : le cas des affects liés aux conflits des normes successorales au Cameroun ».
(2) Les chefferies de Bandjoun, Baleveng et Foreké-Dschang.

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