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Éthique aux confins de la vie et de la mort
30/11/2012

Il existe d'importantes différences entre le nord et le sud de l'Europe quant aux opinions des soignants sur l'arrêt des traitements dispensés pour assurer la survie des patients gravement cérébrolésés. En raison de convictions religieuses plus affirmées, les pays du Sud apparaissent beaucoup plus réticents à accepter cette issue. On observe également que les hommes y sont plus favorables que les femmes et que plus on est âgé, moins on y adhère.

Douleur et fin de vie

En janvier 2012, d'autres résultats analysés par Athena Demertzi ont été publiés dans la revue Neuroethics(3), ainsi que dans la thèse de doctorat de la chercheuse : Ain't no rest for the brain. Neuroimaging and neuroethics in dialogue for patients with disorders of consciousness. Ils avaient trait à des questions relatives à la douleur chez les patients en état de conscience altéré et à l'impact des opinions émises à ce sujet sur les décisions de fin de vie.

Neuroethics_FRPremier constat : la majorité des professionnels de la santé (56%) considère que les patients en état végétatif ressentent la douleur. Un des éléments explicatifs de cette croyance pourrait être la subsistance d'une confusion entre cet état et l'état de conscience minimale. D'autant que, avant les travaux de Joseph Giacino (2002), aucune distinction n'était opérée entre les deux. Pour l'état de conscience minimale, les choses sont moins controversées, les données comportementales ou obtenues par les techniques de neuroimagerie soulignant que le cerveau des patients réagit quasi normalement aux stimuli nociceptifs.

Une question essentielle était de déterminer dans quelle mesure les opinions relatives à la perception de la douleur conditionnaient la décision d'arrêter la nutrition et l'hydratation artificielles des patients en état végétatif ou en état de conscience minimale chroniques. Quel paysage dessinèrent les statistiques ? Parmi les professionnels de la santé persuadés que l'état végétatif est exempt de douleurs, une large majorité (77%) était favorable à l'arrêt des traitements de maintien en vie. Ce chiffre tombait à 59% dans le groupe des professionnels convaincus de la sensibilité des patients concernés aux stimuli nociceptifs. Pour l'état de conscience minimale chronique, la propension à stopper les traitements s'avérait nettement moindre, puisque les chiffres étaient alors respectivement de 38 et 29%.

Une tendance générale se dégage donc : la réticence beaucoup plus affirmée à laisser « partir » le patient si on le juge capable de percevoir la douleur. Pourquoi cette vague de fond ? On en est encore au stade des conjectures. Une hypothèse serait que la perception de la douleur soit assimilée à un signe plus général de conscience de l'environnement.

Une double influence

En analysant plus avant les réponses de l'échantillon, Athena Demertzi souligne que la profession et le fait d'être croyant (sans nécessairement être pratiquant) influent sur les opinions des participants à l'enquête. Ainsi, les non-croyants se révèlent sensiblement plus favorables à l'arrêt des traitements que les croyants, que le patient soit ou non censé ressentir la douleur physique. En effet, pour l'état végétatif, 69% des non-croyants estiment opportun d'arrêter la nutrition et l'hydratation artificielles quand ils pensent que le patient peut éprouver de la douleur et 86% quand ils pensent le contraire, alors que les chiffres sont respectivement de 52% et 71% chez les croyants. Pour l'état de conscience minimale, les pourcentages sont plus faibles, mais la différence subsiste. 38% des non-croyants sont en faveur de l'arrêt des traitements si le patient ressent la douleur, contre 22% des croyants. Si le patient est jugé à l'abri des perceptions nociceptives, les chiffres sont respectivement de 40 et 33%.

(3) A. Demertzi, E. Racine, M.-A. Bruno, D. Ledoux, O. Gosseries, A. Vanhaudenhuyse, M. Thonnard, A. Soddu, G. Moonen, S. Laureys, Pain Perception in Disorders of Consciousness: Neuroscience (2012), Clinical Care, and Ethics in Dialogue, Neuroethics, 1-14.

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