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L’énergie, pas la bombe !
16/10/2012

L’Euratom et ses suites

Si les découvertes fondamentales en physique nucléaire sont européennes, c’est aux Etats-Unis que les développements de la Seconde Guerre mondiale ont apporté une avance technologique évidente, dans toutes les applications de la science atomique. En conséquence, certains États européens vont tenter d’unir leurs efforts pour rattraper ce retard. Mais il paraissait alors clair que cette coopération resterait limitée aux aspects scientifiques et techniques de l’énergie nucléaire, sans s’étendre aux éléments d’ordre politique, qui restaient l’apanage des États nationaux. C’est sur cette base que sera créée la Communauté européenne de l’énergie atomique (Euratom), par le biais d’un traité signé à Rome en 1957, en même temps que celui instituant la Communauté économique européenne (CEE). Le traité Euratom se conçoit ainsi comme un outil visant à la promotion la plus efficace possible de l’énergie nucléaire au sein de l’Europe des Six (France, Allemagne, Italie, Pays-Bas, Belgique, Luxembourg), mais ne s’occupe pas des questions relatives à la prolifération des armes atomiques. Mais, à partir de la création de l’AIEA en 1957 et, surtout, de la signature du TNP en 1968, la non-prolifération nucléaire devient un thème essentiel de la politique internationale. Certains États membres d’Euratom concluent à la nécessité d’instaurer progressivement une coordination des différentes politiques nationales de non-prolifération, d’abord pour préserver l’égalité des conditions de concurrence, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de la Communauté européenne. Les discussions seront âpres, extrêmement laborieuses et influencées tant par les élargissements successifs de l’UE que par des événements internationaux comme, par exemple, la découverte du programme clandestin d’armement nucléaire de l’Irak. Il est cependant incontestable que l’UE s’inscrit dans un processus lent mais certain de coordination des politiques nationales de non-prolifération des ADM. Cependant, ce processus semble résulter davantage d’une volonté d’aligner les politiques de non-prolifération des principaux États fournisseurs du monde, que d’une volonté strictement européenne. En effet, l’alignement européen n’est en réalité que la traduction des décisions prises dans le cadre des instruments internationaux de non prolifération comme le NSG ou le MTCR.

Un monde sans nucléaire ? Chiche !

Entre le vain espoir étatsunien de s’arroger le monopole du nucléaire et aujourd’hui, 67 années se sont écoulées. Elles ont vu passer de un à neuf le nombre de pays qui possèdent, en quantité et en qualité variables, un arsenal nucléaire ou, à tout le moins, un « embryon » d’armement atomique : États-Unis, Russie, Royaume-Uni, France, Chine, Israël, Inde, Pakistan, Corée du Nord. La politique et les régimes de non-prolifération nucléaire n’ont donc atteint leurs objectifs que de manière partielle,  en freinant le processus de prolifération à défaut de pouvoir l’endiguer. Peut-être est-ce, cependant, un résultat appréciable : il est en effet permis de se demander ce qui se serait passé, pendant ce temps, si aucune contrainte n’était venue entraver les appétits de puissance des uns et des autres.

Pendant tout ce temps, les applications civiles et pacifiques de l’énergie nucléaire ont connu différentes phases. L’euphorie des années 1954-1964 fut suivie par un essor industriel considérable des programmes électronucléaires dans les pays industrialisés. L’électricité nucléaire apparaissait alors comme la panacée pour remédier aux besoins sans cesse croissants du monde industrialisé et semblait lui garantir une certaine indépendance énergétique. Paradoxalement, les crises pétrolières de la fin du XXème siècle, justifiant l’accélération des programmes électronucléaires, verront apparaître, en Europe occidentale, les premiers mouvements d’opposition au nucléaire civil. Sa remise en cause par l’écologie politique éveillera une méfiance croissante des populations. Malgré les progrès de l’imagerie, des diagnostics et des radiothérapies métaboliques, qui ouvraient de prometteuses voies nouvelles à la médecine, l’image positive du nucléaire civil sera fortement altérée par l’explosion du réacteur de Tchernobyl, en 1986. Elle le sera, davantage encore, par la catastrophe survenue dans les centrales japonaises de Fukushima, en 2011. A des degrés divers, ces accidents auront freiné le développement des programmes électronucléaires, voire, dans certains cas, provoqué leur abandon. Désormais, pour la plupart des dirigeants européens, l’énergie nucléaire n’est plus un bienfait de la science moderne, mais un « mal nécessaire », à n’utiliser que pour pallier la raréfaction et le renchérissement des hydrocarbures, en attendant la disponibilité d’énergies nouvelles en suffisance.

Cela dit, la contribution de l’énergie nucléaire à la production mondiale d’électricité se stabilise autour de 25% depuis une quinzaine d’années, ce qui est loin d’être négligeable. Et les gigantesques pannes d’électricité survenues en Inde, à la fin juillet 2012, nous rappellent que ce pays de plus de 1,2 milliard d’habitants, auquel il manque plus de 10% de capacité électrique, n’a encore recours au nucléaire que pour… 3% de sa production.Ville-Fukushiuma Il reste donc des marges de croissance pour l’industrie électronucléaire, que ce soit en Inde, en Chine ou dans d’autres régions du monde à forte croissance économique et démographique. De même, il semble raisonnable de parier, tout en le déplorant, que la volonté de puissance ou le besoin de sécurité ne s’arrêtera pas aux neuf arsenaux atomiques recensés aujourd’hui, et que la lutte contre la prolifération restera plus nécessaire que jamais. C’est dans ce contexte que l’ouvrage de Quentin Michel montre, par sa rigueur et la clarté de ses analyses, toute sa pertinence.

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