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L’énergie, pas la bombe !
16/10/2012

Lettre-Einstein-SzilardMais si, en 1939, les progrès de la physique nucléaire agitent le monde scientifique, les milieux politiques européens et américains y demeurent indifférents. Quelques physiciens nucléaires inquiets, dont le  vigilant Leo Szilard, entreprennent alors une campagne de conscientisation visant à alerter les milieux politiques et militaires de l’enjeu considérable que présenterait la possession de l’arme nucléaire par l’un des belligérants. Mais leurs démarches ne recueillent, au mieux, qu’un intérêt poli. Szilard et ses amis décident alors de consacrer les moyens dont ils disposent pour contrecarrer directement la recherche militaire allemande. Dans un premier temps, ils envisagent d’alerter les autorités belges pour qu’elles évitent de céder aux Allemands l’uranium issu des mines katangaises du Congo. Pour ce faire, Szilard compte sur son ami Albert Einstein, qui entretient une correspondance régulière avec la reine Elisabeth de Belgique. Mais Einstein préfère finalement écrire, à l’intention du président des Etats-Unis Franklin Roosevelt, une lettre qui marquera le point de départ de l’engagement américain dans la course atomique. Dans cette lettre, le savant propose en effet d’accélérer les recherches sur la réaction en chaîne, grâce à un soutien financier important, afin d’éviter de se faire devancer par les Allemands. La précipitation des événements internationaux au début de la guerre emporte la conviction de Roosevelt, qui ordonne la constitution d’un Comité consultatif de l’uranium, organe de liaison entre l’Administration américaine et le monde scientifique. Dans un premier temps, l’initiative ne rencontre toutefois qu’une adhésion modeste de ce comité, dont beaucoup de membres persistent à considérer que l’arme nucléaire relève davantage de la science-fiction que de la réalité militaire. Mais l’intérêt est plus soutenu au Royaume-Uni, voisin géographique de l’Allemagne. Il s’y crée un comité restreint – le Maud-, qui conclut, en juillet 1941, à la faisabilité technique d’une arme nucléaire… moyennant un investissement industriel qui dépasse largement les possibilités d’un pays déjà engagé à plein dans l’effort de guerre.

A Washington, l’issue du débat sur l’arme atomique reste incertaine jusqu’à ce matin du 7 décembre 1941 : à la surprise générale, l’aviation japonaise bombarde la base navale américaine de Pearl Harbour, sur l’archipel d’Hawaï, au milieu de l’océan Pacifique. Ce « coup »  provoque l’entrée en guerre immédiate des Etats-Unis et la mondialisation du conflit. Et, le 19 janvier 1942, le président Roosevelt ordonne de concentrer un maximum d’efforts sur la production d’une arme nucléaire. Dès ce moment, la léthargie des premières années de guerre fait place à la volonté frénétique de produire, le plus rapidement possible, plusieurs bombes atomiques. Des moyens financiers colossaux sont mobilisés au service d’une véritable course contre la montre, alimentée par l’angoisse que les Allemands aboutissent les premiers. Une crainte finalement peu rationnelle : après la capitulation de l’Allemagne, on constatera qu’il n’y avait pas d’arme nucléaire nazie, même à l’état embryonnaire. Mais cela, on ne le saurait que plus tard.

Camp de concentration pour prix Nobel

En attendant, trois grands centres nucléaires, véritables villes secrètes habitées par plusieurs dizaines de milliers d’habitants et désignées par les seules lettres W, X et Y, surgissent en quelques mois du sol américain, à partir de l’automne 1942. C’est là qu’est entrepris le programme Manhattan, qui aboutira aux bombes d’Hiroshima et de Nagasaki. L’un de ces centres, « Y », se trouve près de Los Alamos, sur le plateau du Nouveau-Mexique, à quelque 2000 mètres d’altitude. Le lieu a été choisi pour son isolement total et la possibilité de procéder à des essais nucléaires dans l’environnement immédiat. Un millier de scientifiques s’y installent avec leurs familles, sous surveillance militaire, dans un régime de secret ultra-strict. Ils y vivent dans des baraquements bondés, dont ils ne peuvent s’éloigner (un peu) qu’à des conditions sévères. Ce qui vaudra au site l’appellation ironique de « camp de concentration des prix Nobel ».

Au prix d’efforts considérables, la plupart des obstacles techniques à l’élaboration de l’arme nucléaire sont surmontés en avril 1945, alors que le Troisième Reich vit ses tout derniers jours et s’apprête à capituler. L’utilisation de la bombe atomique devient dès lors envisageable, non plus contre l’Allemagne défaite, mais contre son allié japonais, qui résiste farouchement. Ce qui, du point de vue du nouveau président américain Harry Truman, semble préférable à un débarquement terrestre suivi d’un enlisement long et meurtrier. Le 16 juillet 1945 à l’aube, un immense éclair  aveuglant déchire le ciel de la Jornada del muerto, une zone désertique du Nouveau Mexique, suivi d’un énorme nuage en forme de champignon. La première bombe atomique vient d’exploser, libérant une énergie équivalant à 18 600 tonnes de trinitrotoluène (TNT), puissance jusqu’alors inimaginable pour l’explosion d’une seule bombe. La réussite de l’essai confirme la faisabilité d’un bombardement nucléaire rapide sur le Japon. La raison de cette hâte américaine est non seulement d’éviter une invasion terrestre assortie de très lourdes pertes humaines, mais aussi, et surtout, d’éviter que l’armée soviétique ne débarque la première sur l’archipel nippon, ce qui entraînerait d’inévitables revendications territoriales et politiques de l’URSS  à la fin du conflit. Un ultimatum de capitulation immédiate adressé à Tokyo, le 26 juillet, reste ignoré des autorités nipponnes.

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