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La fiction pour réveiller les consciences
09/10/2012

cameravideosurveillanceLes contre-fictions : Cut-up et simulacres

« Le Contrôle est inséparable du langage (…). Le Contrôle est une « biopolitique » au sens fort. Un substrat biologique universel dont le projet est de coloniser la totalité du corps social par le vecteur d’images et de mots. Ce que l’on tient pour la réalité consiste en un tissage complexe de « lignes d’associations » de mots. »(6) Burroughs imagine le monde comme préenregistré, un peu à la manière d’un film monté ou d’une bande magnétique. « Le Contrôle est une sorte de script pré-enregistré qui se déroule en continu dans notre conscience. »(7) Une première manière de parvenir à nouveau à une extériorité, à une subjectivation, serait le cut-up.

Le cut-up consiste en une coupure et une recomposition d’un texte déjà existant. Par exemple, en numérotant les lignes d’un texte et en disposant ces lignes dans un autre ordre. Ou en scindant un texte en quatre et en disposant ces blocs autrement. Couper des associations de mots pour en reproduire de nouvelles, sortir du monde, sortir de la salle de cinéma pour aller dans la salle de montage, et couper pour recoller. Car pour l’écrivain, « la seule chose qui n’est pas pré-enregistrée dans un univers pré-enregistré, c’est le pré-enregistrement lui-même » (8). De cette manière, en touchant au script du réel, du contrôle, on exerce un saut métaleptique dans la narration, on écrit autre chose, on retourne l’arme du Contrôle contre lui-même, et on s’affranchit des scénarios déjà écrits pour nous.

Un autre moyen de sortir de l’immanence du monde contrôlé est le simulacre. « (Le contrôle par le langage est) l’emprise sur la conscience (…) par l’intériorisation d’injonctions que le sujet prendra pour ses propres désirs librement formulés. Dans un tel univers régi par le principe de la servitude volontaire, la seule possibilité d’affranchissement viendrait, selon Burroughs, de la réappropriation, à des fins inversées, des techniques d’oppression et de manipulation. C’est en parlant le langage de la cible, en reproduisant son fonctionnement, en retournant ses armes contre elles que nous pourrons reconquérir une forme d’autonomie. (…) Le mimétisme et la simulation y jouent un rôle si fondamental, dans des dispositifs fictionnels si originaux, qu’il nous a semble pertinent de lui donner un nom déterminé, le simulacre. »(9) Par analogie, Burroughs parvient à se libérer de l’héroïne en utilisant un substitut, l’apomorphine, une molécule proche de l’héroïne qui n’est pas l’héroïne. Il utilise donc le simulacre, « un agent qui ressemble à l’agent malfaisant pour sortir du contrôle », explique le chercheur. D’une certaine manière, si le cut-up sert à sortir du langage pour se le réapproprier et retourner ses propres codes pré-enregistrés contre lui-même et parvenir à s’extérioriser de son contrôle, c’est déjà une forme de simulacre au sens burroughsien. Un Futur antérieur du type de Bye Bye Belgium a des points communs avec le simulacre. Simulacre des codes d’information et simulacre d’un avenir que nous voulons ignorer, mais qui nous est montré pour que nous soyons forcés de prendre position. Il nous offre un nouveau degré de connaissance sur le monde en retournant contre lui ses propres armes.

Le simulacre et le futur antérieur explorent des possibles par la fiction pour proposer une nouvelle grille de lecture aux individus, casser l’inertie cognitive de leur évolution au sein de leur société et de ses codes. Que ces dispositifs peignent une version fantasmée du pouvoir ou une vision trop déterministe n’est finalement pas le problème. Donner un autre angle, un autre plan, un autre champ de vision pour conjurer l’enlisement dans la servitude et donner de nouvelles prises pour à nouveau avoir un temps d’avance sur le système, tels sont les enjeux de ces fictions. « Simulacre et futur antérieur intensifient des propriétés cognitives et pragmatiques présentes en germe dans tout dispositif fictionnel. Tous deux représentent des modalités du pouvoir de configuration et d’ « encapacitation » (ou d’empowerment) de la fiction (faculté de stimuler la prise de conscience et la réaction d’un lecteur, ndlr). Qu’un grand nombre d’acteurs fassent usage de ces stratégies pour exercer un effet sur leur environnement politique et social n’a dès lors en soi rien de surprenant. » (10)

(6) Ibid, p. 201.
(7) Ibid, p. 201.
(8) Ibid, p. 165.
(9) Ibid, p. 14.
(10) Ibid, p. 15.

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