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La fiction pour réveiller les consciences
09/10/2012

Pour faciliter cette immersion, plusieurs dispositifs sont mis en place. Le récit est en général écrit comme déjà advenu. C’est un monde sans aucune échappatoire, et dont les amorces sont déjà existantes dans notre société actuelle. Un futur au passé, d’où l’appellation de « futur antérieur ». « Tout y est paradoxalement montré comme s’il était déjà trop tard, développe le chercheur. Et c’est à ce moment-là qu’une prise de conscience peut se produire et que des clés sont offertes pour s’en sortir. » Les rhétoriques de la menace et de l’alerte sont omniprésentes.

Tous ces récits travaillent également à leur propre obsolescence. Ils présentent un scénario d’avenir possible pour que celui-ci n’ait jamais lieu. Ils sont énoncés pour être entendus et détrompés. Ils offrent au destinataire une prise sur le monde, un élément de connaissance qui leur permet de l’observer sous un autre angle et d’agir. Maintenant, ces récits ne répondent pas tous aux codes canoniques du genre du roman d’anticipation. Certains s’habillent d’effets de réel qui peuvent mener jusqu’à la duperie, à l’aide de canaux de communication et d’information qui font d’habitude l’objet d’autorités et de légitimités. Un exemple connu de tous les Belges est celui de Bye Bye Belgium, le faux documentaire de la RTBF diffusé le 13 décembre 2006, et qui annonçait comme fraîchement votée la déclaration unilatérale d’indépendance de la Flandre.  

« Bye Bye Belgium est un exemple paradigmatique de futur antérieur, s’émerveille le chercheur. Et d’un point de vue individuel, les citoyens belges ont tous fortement réagi à ce faux documentaire. Je ne pense pas qu’il aurait eu le même impact s’il n’y avait pas eu une simulation avec autant d’effets de réel. » Par ces effets de réel, les citoyens belges se sont très efficacement immergés dans l’histoire. L’efficacité de cette immersion est due à une duperie. En s’armant d’une réalité simulée, l’ironie passe par la duperie pour ensuite acquérir la connivence du destinataire. Il sait alors ce qu’il était attendu de lui.

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Dans les exemples de futur antérieur, le chercheur oppose notamment George Orwell à Simson Garfinkel. En 1949, George Orwell publie 1984. Sa célèbre fiction d’anticipation met en scène Winston Smith, jeune homme qui tente de se dresser contre la société totalitaire dans laquelle il est plongé. Cette société étant de type centralisée, où rien ni personne n’échappe à la figure de Big Brother. Simson Garfinkel, lui, publie Database Nation en 2000. L’ouvrage traite de la menace que les nouvelles technologies font peser sur la vie privée. Il n’y a plus ici une instance politique totalitaire et centralisée, mais une pléiade de « kid brothers ». Le chercheur montre comment Garfinkel simplifie l’apport d’Orwell en le qualifiant d’anticommuniste primaire, où l’Etat monopolistique devient le mal absolu, là où les gouvernements sont aujourd’hui selon lui la solution pour éviter les dérives des multinationales privées. Car aujourd’hui, la forme de contrôle serait « plus diffuse et discrète ». Chacun participerait au quotidien à son propre avilissement, à son propre contrôle, par le biais de ces nouvelles technologies.

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