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La fiction pour réveiller les consciences
09/10/2012

Quels jeux et instruments de pouvoir existent dans nos sociétés? Jusqu’à quel point un système exercerait-il sur nous un contrôle déterminant nos actions ? Vers où les abus d’un tel système nous mèneraient-ils? Par le biais de la fiction, nous sommes parfois amenés à envisager le pire des futurs possibles, dans le but de ne jamais avoir à le croiser. Même s’il est imaginé comme nous étant destiné. De Foucault à Deleuze en passant par Burroughs, d’Orwell à Garfinkel, ou en évoquant Bye Bye Belgium, Frédéric Claisse analyse la philosophie du contrôle pour se pencher sur l’influence des récits de fiction catastrophistes sur notre manière d’appréhender le monde. Ces récits tissent un mode de connaissance particulier, ont des vertus analytiques du réel et constituent donc un objet à envisager avec sérieux. Ces anti-utopies, il les nomme les futurs antérieurs.

Frédéric Claisse, sociologue et politologue au Département de science politique de l’Université de Liège, vient de défendre une thèse de doctorat consacrée à des œuvres contemporaines et des récits de fiction. Leur point commun ? En grossissant les traits de notre présent pour imaginer un futur dystopique plausible, ces œuvres poussent le destinataire à remettre en question les dérives de son environnement social et politique. Elles ont ainsi pour vocation de présenter un monde horrible et menaçant pour le désamorcer, pour qu’il n’ait pas lieu. Les dystopies peuvent être vues comme des « détours par le futur pour parler du présent. » Tout au long de cette recherche, le récit devient un objet autant qu’un « analyseur » du politique. Et il s’articule autour de la question du pouvoir. Le pouvoir du récit, et le pouvoir comme récit. 

Deux articulations entre pouvoir et récit

A la suite d’Yves Citton, Frédéric Claisse adopte une approche narrative du pouvoir en utilisant par la métaphore les codes du récit. Le chercheur articule les termes de deux manières. D’abord, le pouvoir du récit, qui justifie l’importance de l’investissement de la fiction. En tant que mode de connaissance, le récit permet d’analyser le politique, et de mobiliser le lecteur, d’influer sur son comportement, processus qui fonctionne pour l’utilisation de récits du futur antérieur (voir le point « futur antérieur, ou un demain au passé »). Ensuite, le pouvoir comme récit. « Si « agir sur les actions possibles de quelqu’un », ou amener cette personne à faire quelque chose qu’elle n’aurait pas faite sans notre intervention suffit à caractériser une relation de pouvoir, elle suffit aussi, dit Citton, à caractétriser un récit au sens minimal, écrit le chercheur. Contrôler, mettre en intrigue ou scénariser l’action de quelqu’un deviennent dès lors quasi synonymes : il s’agit de faire adopter une autre ligne narrative à cette personne, de construire pour elle un monde et de l’amener à l’habiter. » (1) C’est donc imaginer pour un individu l’ensemble de ses possibles trajectoires de vies et l’y contraindre. C’est le pouvoir comme récit, comme scénarisation. Mais pour sortir de ce contrôle total, immanent, il est possible de développer des contre-récits. La suite de cet article présentera ce que sont pour Frédéric Claisse le futur antérieur et le simulacre, deux types de contre-récits qui passent par la fiction pour proposer un nouveau point de vue sur le monde qui nous entoure. récit

Futur antérieur, ou un demain au passé

Le futur antérieur est une fiction d’anticipation qui, par la métalepse, fait glisser le lecteur dans un autre degré de récit, dans une autre narration que celle du monde dans lequel il vit. Il pourrait être défini comme une dystopie, un « catastrophisme éclairé » (selon l’expression du philosophe français Jean-Pierre Dupuy) qui envisage le pire pour le repousser et l’empêcher de se réaliser. « Ces fictions fonctionnent à deux niveaux, explique le chercheur. Elles fonctionnent à la fois comme fiction, mais également comme simulation, comme représentation du monde réel, même s’il s’agit d’un monde à venir. » Si on ne lui présente pas ces mondes avec un minimum d’effets de réel, le lecteur ne peut pas rationnellement les ramener à ses expériences propres. Pour que ces fictions aient un écho auprès du destinataire, il faut donc qu’il puisse s’y immerger. « C’est l’immersion qui effraie. C’est en se plongeant dans l’histoire que le lecteur a peur de ne pas savoir s’en sortir. C’est là toute la force de la fiction. »

(1) Frédéric Claisse, Simulacres et Futurs Antérieurs, Contribution à une approche narrative du politique, doctoral dissertation, p. 62, June 2012.

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