Carte blanche parue dans le journal La Libre Belgique, le 08 janvier 2010.
Par Jérôme Jamin, politologue à l’Université de Liège et co-auteur de l'ouvrage "Exceptionnalisme américain et droits de l'homme" (Dalloz, 2009).
Si Barak Obama avait été soutenu comme un futur président normal, sans qualités surhumaines et exceptionnelles, il serait sans doute aujourd'hui considéré comme un homme qui a correctement et courageusement géré la transition avec son prédécesseur et son lourd héritage: guerres en Irak et en Afghanistan, prison de Guantanamo et de Bagram, vols secrets de la CIA, retour de la torture, vote du Patriot Act, etc. Mais, hélas pour Obama, il a été présenté comme un homme providentiel qui allait non seulement présider l'Amérique, mais qui en plus allait réconcilier les Américains entre eux, et surtout l'Amérique avec le monde, main dans la main! Le passage du mythe à la réalité est aujourd'hui douloureux et, à bien des égards, Obama doit regretter les attentes irréalistes qu'il a suscitées. Les actes qui affichent la continuité entre Obama et ses prédécesseurs sont nombreux et déjà anciens, mais ils sont occultés par l'euphorie de la campagne électorale qui semble continuer chez nous de façon presque intacte et permanente au moment où, aux Etats-Unis, chez les adeptes d'Obama, le réveil a sonné depuis longtemps. Au commencement était un choix peu commenté et pourtant lourd de signification: le maintien en fonction du secrétaire de Bush en charge de la Défense, Robert Gates, qui succèda à Donald Rumsfeld en 2006. Conserver le même homme dans un domaine aussi stratégique en dit long sur la difficulté, l'impossibilité, voire le refus de changer immédiatement en pratique ce qui avait été annoncé dans les discours électoraux. Mais il y a aussi la réticence immédiate du nouveau président vis-à-vis d'une mise en accusation des membres de l'administration Bush impliqués dans le programme de torture de la CIA. Ce choix politique extrêmement décevant aujourd'hui aurait condamné Obama à l'échec s'il avait été annoncé publiquement avant le scrutin de novembre 2008. Ce choix a d'ailleurs ouvert la porte à une série de volte-face qui aboutiront à une même protection pour les bourreaux en charge des "fausses noyades” et autres supplices dénoncés sous les années Bush. Les agents de la CIA qui ont enlevé arbitrairement, enfermé dans des prisons secrètes et torturé parfois jusqu'à la mort des dizaines d'individus aux Etats-Unis, en Europe et un partout dans le monde bénéficient aujourd'hui d'une promesse de protection contre d'éventuelles investigations. Et si les choses changent d'ailleurs, ce ne sera pas grâce à Obama mais grâce à la justice américaine qui pourrait, comme elle l'a déjà fait, ne pas voir les choses de la même manière. Et puis, il y a les fameuses milices privées qui ont fait la honte des guerres en Irak et en Afghanistan au rythme de leurs actes criminels les plus odieux et de l'impunité dont elles jouissent (cinq des agents accusés d'avoir tué des civils innocents ont été relaxés début janvier par un juge fédéral suite à un vice de procédure). Pour rappel, le 16 septembre 2007, en escortant un convoi du département d'Etat américain, des mercenaires de Blackwater avaient déclenché un déluge de feu sur une place très fréquentée de Bagdad, tuant au moins 14 personnes. La société de sécurité avait invoqué la légitime défense malgré les enquêtes irakienne et américaine qui avaient établi pour leur part que le convoi n'avait pas été attaqué. Un an après l'élection historique du président Obama, et contrairement à ce qui s'est dit dans plusieurs grands médias, Blackwater (devenue Xe Services) et d'autres sociétés privées occupent toujours un rôle de premier plan dans la stratégie américaine en Irak et en Afghanistan, notamment dans la protection du personnel diplomatique. |
|
On pourrait penser que tout ce qui précède est une question de temps mais des décisions dans d'autres domaines laissent au contraire présager une continuité à long terme avec les années Bush. Ainsi, les Palestiniens risquent de ne jamais pardonner au Président Obama les propos d'Hillary Clinton annonçant qu'en définitive, après réflexion, le gel des constructions dans les colonies n'était finalement plus une condition préalable à la reprise du dialogue entre Israël et l'Autorité palestinienne. Ce choix politique est pénible pour toux ceux qui pensaient sérieusement que des changements étaient désormais possibles dans cette région du monde. Et dans le même registre, les accusations de partialité de la Maison-Blanche au sujet du rapport Goldstone sont également choquantes pour tous ceux qui militent en faveur des droits de l'homme et de la paix au Moyen-Orient. Le rapport dénonce les terribles violations du droit de la guerre par Israël et le Hamas dans la bande de Gaza l'hiver dernier. Ces critiques de l'administration au sujet du rapport évoquent un mépris vis-à-vis d'un nombre considérable d'organisations occidentales qui avaient, dès le début, dénoncé les drames vécus par la population sur un territoire minuscule dont il était impossible de s'enfuir. On pourrait aussi balayer d'un revers de la main ce qui précède en disant qu'Obama ne peut pas faire beaucoup plus que ses prédécesseurs, et ce serait sans doute vrai! Car Obama n'est pas très différent de ses prédécesseurs. Et à ce titre, le jeune président va regretter le mythe qui lui colle désormais à la peau. |