BHV scindé: la frontière linguistique ne deviendra pas forcément étatique.

L’accord institutionnel conclu le 11 octobre 2011 est une partie essentielle de l’accord qui a mis fin à la longue crise politique et permis la mise en place du gouvernement Di Rupo. Cet accord institutionnel, qui doit encore être adopté, à l’été 2012, sous la forme de textes juridiques, prévoit notamment une réforme de la circonscription électorale de Bruxelles-Hal-Vilvorde (BHV). Il tente ainsi de mettre un terme à l’interminable contentieux qui empoisonne, depuis neuf ans si l’on ne considère que le dernier « épisode » (puisque la question est grosso modo aussi vieille que la question du tracé de la frontière linguistique), les relations entre les deux grandes communautés de la Belgique. Rappelons-en l’origine : le 23 mai 2003, la Cour constitutionnelle prononçait un arrêt très ambivalent sur le statut de l’arrondissement BHV.

De cette décision ambigüe, le mouvement nationaliste flamand, bientôt rejoint par une majorité des milieux politiques au nord du pays, concluait que notre « juge constitutionnel » exigeait la scission de l’entité BHV en deux nouveaux arrondissements électoraux : celui de Bruxelles-Capitale et celui de Hal-Vilvorde. Ainsi, disaient-ils, les habitants de Hal-Vilvorde ne seraient plus traités autrement que les autres ; ils rejoindraient ceux de Louvain au sein d’une seule et même circonscription électorale, la province du Brabant flamand. Ainsi, spéculaient-ils aussi, la frontière linguistique tracée en 1962-63 ne serait plus « enjambée » par un arrondissement bilingue, compromettant son « étanchéité ». Et la Flandre, ainsi dotée d’un territoire aux frontières consolidées et donc plus sûres, obtiendrait plus facilement qu’elles soient reconnues comme telles, internationalement, en cas de partition future de la Belgique.

Les francophones, en revanche, n’étaient pas demandeurs et rejetaient, en tout cas, l’idée d’une scission « pure et simple » de BHV, qui aurait pour conséquence d’isoler définitivement en Flandre les 80.000 à 100.000 francophones de la périphérie bruxelloise. Ils pensaient, notamment, aux francophones domiciliés dans les communes à facilités, dont cinq sont peuplées d’une forte majorité de francophones (Drogenbos, Linkebeek, Rhode-Saint-Genèse, Kraainem et Wezembeek-Oppem).

Aux termes de l’accord institutionnel d’octobre 2011, la circonscription électorale de BHV sera effectivement scindée, « tout en veillant à consolider les droits fondamentaux des citoyens et à résoudre les difficultés politiques nationales ». Concrètement et en bref, les francophones ont notamment obtenu que les six communes périphériques à facilités soient réunies en un nouveau canton électoral (Rhode-Saint-Genèse) à créer, et que leurs habitants puissent « voter sur place pour les mêmes candidats que les électeurs des 19 communes de la Région bruxelloise.»

La problématique de la circonscription électorale de BHV est « dotée d’une importance stratégique à long terme », commente le constitutionnaliste Christian Behrendt (ULg) dans le chapitre 5 qu’il consacre à l’arrondissement litigieux. Elle est en effet la dernière circonscription électorale qui enjambe la frontière linguistique : sa seule existence constitue un élément qui maintient une certaine porosité de cette frontière dans la perspective d’une éventuelle partition du pays. En termes ramassés : aussi longtemps qu’existent, dans certaines parties bien déterminées du territoire flamand, des régimes dérogatoires au bénéfice de citoyens d’expression française, aussi longtemps la question de savoir par où exactement devrait passer, en cas de partition, le futur tracé frontalier interétatique demeurera ouverte.

 

En effet, argumente Behrendt, le principe de droit international qui a vocation à s’appliquer à cette problématique n’impose pas la reprise automatique, comme nouvelles frontières internationales, des anciennes limites administratives de l’Etat « défunt » (en l’occurrence, la Belgique). Au contraire, il permet la fixation d’un autre tracé, pour autant que des raisons objectives puissent être évoquées en faveur de ce tracé alternatif. A l’appui de son raisonnement, Christian Behrendt cite aussi le professeur émérite de droit international Eric David (ULB), sur le même dossier : « Le droit international ne prévoit pas que les frontières des Etats successeurs (…) doivent correspondre aux délimitations administratives internes établies par l’Etat prédécesseur », même s’il est exact que « la pratique tend plutôt à maintenir les anciennes délimitations intérieures comme frontières extérieures du nouvel Etat ».

Du point de vue francophone, conclut Behrendt, l’enjeu à long terme sur le dossier de BHV consiste donc à assurer, dans toute la mesure du possible, un maintien, voire un renforcement des différents régimes dérogatoires existants. Or, à l’issue de la sixième réforme de l’Etat, il existera 5 régimes dérogatoires en faveur des francophones des communes à facilités :

1. les facilités linguistiques elles-mêmes;

2. l’existence d’écoles primaires francophones ;

3. la possibilité de voter pour des candidats qui se présentent à Bruxelles ;

4. un régime spécial de contrôle juridictionnel pour la nomination des bourgmestres ;

5. un régime dérogatoire judiciaire permettant l’usage du français.

En cas de partition de la Belgique, ces éléments pourraient donc être invoqués par les francophones pour négocier une frontière qui ne consacre pas l’absorption des communes à facilités par l’Etat flamand.