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Les biocarburants : une alternative viable ?

Carte blanche parue dans le journal "Le Soir" du 30 juillet 2007
par Hubert Halleux, Assistant au laboratoire de Chimie industrielle de l'Université de Liège


Les directives européennes prévoient l'incorporation d'un minimum de 5,75% de biocarburants dans le secteur des transports pour 2010 et de 10 % pour 2020. Ces carburants «biologiques» sont attractifs, mais présentent un bilan environnemental plutôt mitigé. De plus, l'utilisation des sols agricoles aura des conséquences importantes.

Le développement de produits ayant les meilleures performances environnementales possibles est au coeur de nos préoccupations. Dans le secteur des transports, les biocarburants semblent pouvoir apporter une solution partielle aux problèmes de la consommation de combustibles fossiles et du réchauffement climatique.

Si le premier avantage se comprend aisément par l'origine «renouvelable» de ces carburants, le second mérite une explication complémentaire. En effet, le dioxyde de carbone (CO2) émis lors de leur combustion fait partie du cycle naturel du carbone. La quantité de CO2 émise est équivalente à la quantité qui avait précédemment été absorbée par la plante lors de sa croissance. A priori, l'utilisation de biocarburants n'entraîne donc pas un accroissement de la quantité de gaz à effet de serre dans l'atmosphère.

Cependant, pour évaluer les performances environnementales d'un produit, il faut considérer l'ensemble de son cycle de vie, depuis l'acquisition des matières à sa production, son utilisation et sa destruction. Par ailleurs, d'autres impacts environnementaux doivent être pris en compte comme, par exemple, les dommages à la santé humaine ou les émissions de gaz acides. La méthodologie de l'analyse du cycle de vie (LCA – Life cycle assessment), également appelée «écobilan», permet une telle approche globale.

Il existe deux filières de biocarburants : la filière «oléagineuse» et la filière «éthanol». La première consiste à produire une huile végétale (colza, palme) qui peut être transformée en biodiésel tandis que la seconde consiste à produire de l'éthanol à partir de plantes sucrières (betterave, canne à sucre) ou amylacées (céréales, pomme de terre) par fermentation. Les cultures permettant la production de carburant la plus élevée par hectare, pour chacune de ces deux filières, sont, en Belgique, le colza et la betterave.

Afin d'établir le bilan environnemental de ces deux carburants, il faut étudier les différentes étapes de leur production. La première étape est la culture. Elle induit la production et l'application d'engrais et de pesticides, le fonctionnement de machines agricoles, etc. La deuxième étape est la production du carburant proprement dit à partir de la biomasse. L'huile de colza doit être extraite des graines puis être transformée en biodiésel par réaction chimique. Cette production génère deux sous-produits : le tourteau de colza (graines épuisées de leur huile), riche en protéines, aliment intéressant pour le bétail, et la glycérine qui trouve un marché dans l'industrie chimique.

Pour produire l'éthanol, on extrait de la betterave un jus sucré qui est ensuite fermenté. Les pulpes de betterave constituent un sous-produit à bien plus faible valeur ajoutée que ceux du colza : elles nécessitent un séchage particulièrement énergivore et leurs teneurs en sucres et en protéines sont faibles.

En considérant l'ensemble de ces étapes, le bilan énergétique global est moins favorable qu'annoncé. En effet, les économies d'énergie liées à l'utilisation de biocarburants sont seulement de 48 % dans le cas du biodiésel et de 41 % pour le bioéthanol (cela signifie qu'on consommerait 48 % ou 41 % d'énergie fossile en moins si on roulait uniquement au biocarburant).

Notons que le bilan du biodiésel peut être amélioré lorsque ses sous-produits sont valorisés. En effet, en évitant la production des produits auxquels ils se substituent, on évite d'importantes consommations énergétiques. Le bénéfice de la filière «biodiésel» se chiffre alors à 74 %. Comme nous l'avons dit plus haut, les sous-produits de la betterave n'offrent pas un tel bénéfice.

Les émissions de gaz à effet de serre étant directement liées à la consommation de combustibles fossiles, la réduction de ces émissions suit une tendance similaire à l'économie d'énergie.

Lorsqu'une analyse complète du cycle de vie des biocarburants est effectuée, on se rend compte que l'utilisation des sols est le paramètre le plus critique. En effet, la monopolisation des sols pour leur production entraîne
une réduction des possibilités pour les denrées alimentaires et donc une hausse des prix de ces dernières. Selon un récent rapport de l'OCDE analysant la question, le prix des céréales augmentera encore de 20 à 50 % entre 2006 et 2016.

L'alimentation complète du parc automobile belge en biocarburants nécessiterait de cultiver une surface supérieure à la surface totale du pays : un hectare permet de produire environ 1,5 tonne de biodiésel (colza) ou 4 tonnes d'éthanol (betterave). La comparaison de ces rendements semble donc moins défavorable à la culture de la betterave. Cependant, la culture d'un hectare de colza produira également plus de deux tonnes d'aliments pour
bétail, permettant d'économiser une surface importante qui aurait dû être mobilisée pour la production d'une quantité équivalente d'aliments de même valeur nutritive. En prenant ce paramètre en compte, on conclut que la
production de biodiésel est moins critique que celle de bioéthanol au niveau de l'utilisation des sols.

Lorsqu'on prend en compte la totalité des aspects environnementaux, on se rend compte que leurs bénéfices sont sensiblement plus faibles que prévu, particulièrement dans le cas du bioéthanol. Par ailleurs, bien que de meilleurs rendements à l'hectare puissent être obtenus sous d'autres climats (canne à sucre ou palmier à huile), au vu de la disponibilité des sols, l'apport des biocarburants sur le marché de l'énergie restera marginal, à moins d'entrer fortement en compétition avec le secteur alimentaire. Dans ce cas, on peut s'attendre à une accélération de la hausse des prix des matières alimentaires déjà sensible aujourd'hui partout dans le monde. Ce dernier aspect aura un impact particulièrement important sur les populations les plus pauvres au Nord comme au Sud. Le léger bénéfice environnemental justifie-t-il de tels investissements et bouleversements ?

 


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