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Spoutnik, premier satellite artificiel

Par Théo Pirard

Entre juillet 1957 et décembre 1958, la communauté scientifique mondiale vit à l’heure de l’AGI ou Année Géophysique Internationale. Tant Moscou que Washington font part de leur intention de faire voler des instruments scientifiques autour de la Terre. L’URSS (Union des Républiques Socialistes Soviétiques) mise sur un observatoire de géophysique de 1,3 tonne, qui sera finalement lancé le 15 mai 1958 sous le nom de Spoutnik-3. Le projet est approuvé par les autorités en janvier 1956. Mais le programme prend du retard. De crainte d’être devancé pour une «première» spatiale, le gouvernement soviétique accepte en février 1957 le projet PS (abréviation russe de satellite simplifié) d’un satellite de 100 kg.

Spoutnik 1 couleur

C’est ainsi que, dans la nuit du 4 au 5 octobre 1957, un engin, alors mystérieux, est lancé d’un coin tout aussi mystérieux d’Asie Centrale. Ce n'est en effet qu’en 1961 que le cosmodrome de Baïkonour, près de la cité de Leninsk-Tiouratam, dans la steppe du Kazakhstan sera révélé au public. L'engin lancé il y a cinquante ans est le premier satellite artificiel, appelé Spoutnik-1. Ce terme russe signifie «compagnon de route» : à l’instar de la Lune, ce premier satellite accompagnait notre planète dans sa course autour du Soleil.

Trois mois de vie

Spoutnik-1 est mis sur orbite par une fusée Semiorka, dont c'est alors le cinquième vol, les deux précédents ayant été des réussites, mais dans la version de missile intercontinental R7. D’une masse de 280 tonnes au décollage - les 9/10 représentent les propergols, à savoir du kérosène et de l’oxygène liquide – elle communique au satellite PS-1 la vitesse d’environ 28.000 km à l’heure (7,8 km/s). Et ce, au terme d’un vol propulsé de cinq minutes à peine, en maintenant bien le cap sur l’espace ! Son étage central, en éjectant la coiffe, libère une sphère de 0,58 m en acier aluminium, pressurisée à l’azote et hérissée de quatre longues antennes: le premier Spoutnik!

Cette boule brillante pèse 83,6 kg, dont les 2/3 sont constitués de trois batteries argent-zinc. Placé sur orbite terrestre entre 228 et 950 km d’altitude, le satellite évolue en « chute » libre : il « tombe » en faisant des tours du monde… Spoutnik-1 a ainsi tourné pendant trois mois jusqu’à se consumer dans l’atmosphère le 4 janvier 1958. Il est entré dans l’Histoire comme le symbole du début de l’odyssée de l’espace. Sa réplique fut la vedette du pavillon de l’URSS, non loin de l’Atomium, à l’Expo 58 de Bruxelles.

Pas visible mais audible

Spoutnik Signal photoA Moscou, les maîtres du Kremlin avec, à leur tête, Nikita Khrouchtchev, Premier secrétaire du Parti communiste, ne s’attendaient pas à un succès dès le premier essai. Ils sont pris de court devant l’onde de choc du Spoutnik sur l’opinion mondiale. Ils comprennent cependant rapidement que le régime soviétique tient avec cette «première» cosmique une arme de propagande dans la guerre froide qui l’oppose aux Etats-Unis. Et les regards de scruter le ciel pour voir passer le «bébé-lune» : mais l’objet qui étincelle au soleil est l’étage de la Semiorka, long de 28 m. S'il est invisible, Spoutnik-1 se fait par contre entendre. Ses "bip-bip" stridents, diffusés par deux émetteurs dans les 20 et 40 MHz (15 et 7,5 m de longueur d’onde), ont pu être captés par les radio-amateurs du monde entier. Les données transmises par ce premier satellite sont les températures internes et externes à la sphère; elles ont servi à une analyse de la propagation des signaux dans l’ionosphère.

Aboiements dans le cosmos

L’équipe des ingénieurs et techniciens - russes et ukrainiens – qui ont réussi l’exploit de lancer le satellite n’est cependant pas au bout de ses surprises et de ses peines... D’abord, aux dires d’Oleg Ivanovsky, concepteur-adjoint de la mission Spoutnik - il est aujourd’hui âgé de 85 ans -, ces travailleurs de l’ombre se sont sentis gênés d’être, en quelque sorte, dépouillés de la confidentialité de leur œuvre : ce qui devait être un secret d’état au sein de l'appareil militaro-industriel se trouve à la une des médias du monde entier!

Une fois rentrée à Moscou, cette équipe, placée sous la direction du constructeur en chef Serguey Korolev - son identité ne fut révélée qu’en janvier 1966 à l’occasion de ses funérailles sur la Place Rouge ! – est mise sous pression par le Kremlin: une autre prouesse doit venir ponctuer les célébrations des 40 ans de la Révolution bolchevique d’Octobre. Ingénieurs et techniciens se remettent donc au travail, jour et nuit, pour réaliser un satellite… habité. Spoutnik-2 est aménagé à partir de la structure du premier «bébé-lune» : sous une sphère qui abrite les émetteurs et équipements électriques, on installe un caisson pressurisé avec systèmes de survie (oxygène, eau, aliments), couche pour les excréments, ensemble d’électrodes.

Il n’est pas question de procéder à la récupération du passager de ce deuxième satellite. D'une masse de plus d’une demi-tonne, il est placé autour de la Terre le 3 novembre 1957. A son bord, une chienne de 6 kg, Laïka. Elle devait vivre une semaine. Mais, à cause de la chaleur étouffante de son habitacle non climatisé, elle succombe au bout d’une journée de vol.

Retard américain

Spoutnik 2 : Laika

Face aux performances spatiales de l’Empire soviétique, rendues possibles par la puissance de la fusée Semiorka, les Américains prennent peur. Ils sont conscients que Moscou dispose d’un missile intercontinental d'une portée de quelque 8.000 km, capable de frapper l’Amérique du Nord avec l’arme nucléaire. Leur fierté est mise à mal : on parle russe dans le Cosmos ! Washington tente de sauver l’honneur en décembre 1957 avec le lancement d’un micro-satellite de 1,5 kg, qui ressemble à un pamplemousse (d’où son surnom). Mais la petite fusée Vanguard de l’US Navy s’écrase à son décollage, très médiatisé, de Cape Canaveral. Les journaux titrent avec une ironie amère: flopnik ! kapoutnik ! L’humiliation est à son comble.

Dans l’urgence, le Président américain Dwight Eisenhower et les autorités fédérales appellent à la rescousse l’ingénieur Wernher von Braun et son team du Redstone Arsenal au sein de l’US Army, qui avaient mis au point la fusée Jupiter-C qui aurait pu, dès l’automne 1956 - une année avant la Semiorka soviétique ! - servir au lancement d’un satellite «made in USA». Le 31 janvier 1958, ce missile de moyenne portée satellise Explorer-1 qui découvre les ceintures de radiations dites de Van Allen (nom du scientifique qui avait équipé le satellite de compteurs Geiger). Le 1er octobre 1958, l’Amérique se mobilise autour d’une administration nationale pour l’aéronautique et l’espace : la NASA est née. Grâce à cette organisation centralisée, elle entend combler son retard sur Moscou dans ce qui va devenir la course au premier vol humain dans l’espace (Youri Gagarine en avril 1961), puis pour les premiers pas sur la Lune (Neil Armstrong et Buzz Aldrin en juillet 1969).

Au prix du lingot d’or…

L'exploration spatiale a donné ses lettres de noblesse aux fusées, héritières des V2 et autres missiles de destruction. Elles placent régulièrement autour de la Terre des satellites pour des missions scientifiques, les télécommunications, la télévision, la navigation, l'observation du globe... Ce sont elles qui permettent les vols spatiaux habités et qui expédient des sondes sur la Lune, les planètes Vénus et Mars, jusqu'aux confins du système solaire. Comme ces sondes interplanétaires Voyager qui, en route vers les étoiles, se trouvent à quelque 10 milliards de kilomètres de notre Terre...

Spoutnik 1 n’est pas resté longtemps seul dans l’espace. Depuis le premier Spoutnik de 1957, le Bureau des affaires spatiales de l’ONU a enregistré quelque 4.550 lancements réussis de 5.900 satellites. A la date du 15 août dernier, l’US Space Surveillance Network du NORAD (North American Aerospace Defense Command) a répertorié 12.328 objets spatiaux (d’origine terrestre) d’au moins 10 cm qu’on peut détecter et suivre sur orbite : 3.197 satellites ou sondes et 9.131 débris divers (épaves, morceaux de satellites, étages, fragments). Une liste, régulièrement tenue à jour avec les immatriculations nationales, est publiée par le Norad En ce qui concerne les débris plus petits, le Bureau «Orbital Debris» du NASA Johnson Space Center estime à plus de 100.000 les débris qui mesurent entre 1 et 10 cm, à des dizaines de millions les particules de moins d’1 cm. Ils sont disséminés en orbite basse entre 500 et 2.000 km d’altitude et ils se concentrent à proximité de l’anneau géostationnaire entre 35.000 et 37.000 km.

L’Histoire retiendra que c’est une Semiorka de fabrication soviétique qui a montré le chemin du cosmos. Cette fusée conçue au milieu des années 50 reste d’actualité et à la mode ! Cette doyenne a 1.723 lancements réussis d’engins spatiaux à son actif. L’Europe l’a choisie pour l’utiliser dès 2009 afin d’étoffer l’offre de ses services de transport spatial au moyen des Ariane 5 et Vega.

Cinquante ans après l’exploit technologique du Spoutnik-1, l’accès à l’espace demeure un pari risqué et coûteux. Le prix du kilogramme sur orbite, prime d’assurances comprise - il faut couvrir les risques d’échec au lancement -, revient à 15.000 €. Ce qui équivaut au prix d’un lingot d’or ! Ce coût représente un sérieux frein au développement de missions ambitieuses et d’applications compétitives. Toute nouvelle étape dans la maîtrise de la dimension spatiale ne pourra donc se faire que moyennant une révolution technologique qui rendra moins cher et plus propre le transport sur orbite.


Spoutnik : Lectures utiles


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