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Surmonter les caprices d'Ariane

20/07/2007

Le Département d’Aérospatiale et Mécanique contribue à la maîtrise des problèmes de frottement et de lubrification qui peuvent apparaître dans la fusée européenne Ariane. Sa spécialité concerne les tests d’équipements mécaniques à très basse température.

A l’heure où l’on célèbre les cinquante ans du Spoutnik, la complexité des systèmes mis en œuvre pour placer un satellite autour de la Terre a été quelque peu perdue de vue. Ainsi Ariane, le lanceur européen de satellites, n’a pas été épargné par les ennuis techniques qui se sont traduits par des échecs, heureusement peu nombreux. Sur les 176 vols auxquels l’ESA (Agence Spatiale Européenne) puis Arianespace ont effectués depuis décembre 1979, Ariane a trébuché à 9 reprises. Huit défaillances étaient dues à un problème mécanique au niveau du propulseur-fusée, une à une erreur informatique.

L’histoire d’Ariane est émaillée d’incidents liés à des caprices d’ordre mécanique. La plupart ont été diagnostiqués et ont fait l’objet de solutions lors d’essais au sol. L’Université de Liège, depuis la fin des années 80, a contribué à ces essais grâce à l’expertise que le Département d’Aérospatiale et Mécanique (Faculté des Sciences Appliquées) a acquise en thermodynamique, spécialement lors de recherches en tribologie et en lubrification. Il s’est équipé, avec l’aide de la Commission européenne et la Région wallonne, d’un site d’essais cryotechniques en ambiance d’oxygène ou azote liquides. C’est dans cette infrastructure en milieu sécurisé que se déroulent, de façon régulière, des tests sur de délicats équipements du propulseur Vulcain-2 qui équipe le lanceur Ariane 5.

Réactivité, rapidité et souplesse

Cette activité a été initiée par le Professeur Jean Lebrun qui avait des contacts avec la SEP (Société Européenne de Propulsion, aujourd'hui division du motoriste SNECMA, le motoriste d’Ariane). Avec la collaboration des Professeurs Albert Germain, responsable du Laboratoire de Chimie Industrielle, et Jean Bozet, qui a mis en œuvre le Service EMT (Eléments de Machines & Tribologie). En 1985, la fusée européenne connaissait des ratés dramatiques à cause de la séquence de démarrage du moteur cryogénique HM7 de son troisième étage : le propulseur ne pouvait correctement s'allumer. L’injection de l’oxygène liquide dans la chambre de combustion posait un grave problème. Il fallait à tout prix comprendre le comportement de cet oxygène. L’expertise liégeoise, au sein d’EMT, de la technologie des cryo-mécanismes venait à point nommé. Elle était sollicitée par la SEP qui avait besoin d’une réponse urgente à son problème dans l’intérêt de ses clients : l’ESA (Agence Spatiale Européenne), le CNES (Centre National d’Etudes Spatiales) et la société Arianespace.

Les services EMT, de Chimie industrielle et de Thermodynamique, firent preuve de réactivité, rapidité et souplesse dans l’exécution de contrats d’essais pour la SEP. En plus de la phase d’allumage du moteur HM7, on lui demandait de qualifier un roulement amélioré de la turbopompe qui tourne à 14.000 tours/minutes pour l’alimenter en oxygène liquide. L’Université de Liège, avec le support de l’ESA, s’est équipée d’un banc d’essais de cryo-tribologie pour les mécanismes destinés à voler à bord d’Ariane. Son équipe de chercheurs, avec Jean-Luc Bozet, Patrick Kreit et Claude Dodet, s’est montrée à la hauteur des exigences du motoriste d’Ariane en qualifiant « bon pour le service » le roulement de la turbopompe oxygène du 3ème étage. La fusée européenne, dans sa configuration Ariane 4, ne devait plus connaître de soucis… jusqu’à l’avènement de la génération des lanceurs lourds Ariane 5.

équipe EMT - JL Bozet

Lettres de noblesse pour Ariane 5

Avec l’entrée en scène de la version Ariane 5, l’Europe se met vraiment à la mode de la propulsion hydrogène-oxygène (propergols cryogéniques), écologiquement propre. L’étage principal du lanceur lourd européen est propulsé par le puissant moteur Vulcain. Le comportement de l’oxygène liquide dans les rouages de sa turbopompe, développée par la société italienne Avio, est à surveiller. Des problèmes d’étanchéité et de fiabilité sont rencontrés. Il faut notamment vérifier l’étanchéité de vannes cryogéniques réalisées par la firme Techspace Aero pour le propulseur Vulcain. Ce sont les performances et les coûts d’Ariane 5 pour son exploitation commerciale qui sont en jeu. L’ESA et le CNES font alors à nouveau appel au service EMT de l’Université de Liège.

Turbopompe

En 2001, un investissement public d’environ 2 millions d’euros permet à l’EMT d’aménager son site d’essais cryotechniques sur 4.000 m² dans un endroit isolé du campus du Sart Tilman. Cette infrastructure sécurisée avec bunker a été conçue par les professeurs Albert Germain et Jean Bozet avec l'aide de Jean-Luc Bozet. Elle complète le banc de test du roulement de la turbopompe oxygène de l’actuel propulseur HM7B. Elle comprend deux tribomètres qui mettent à l’épreuve la compatibilité des matériaux avec l’oxygène liquide, ainsi qu’une machine à palier polyvalente que la société MAN Technologie a contribué à financer dans le but de tester des paliers hybrides pour la propulsion du futur. Son rôle dépasse le contexte des systèmes spatiaux. Equipé pour évaluer le comportement de matériaux à de très basses températures, ce site est mis à disposition de toute entreprise confrontée à la manutention ou à l’utilisation de fluides cryogéniques, tels que l’oxygène et l’azote à l’état liquide.

Patrimoine liégeois de la mécanique traditionnelle

Cette année, le site d’essais cryotechniques s’est doté d’un banc spécifique pour réaliser une campagne de tests intensifs, commandée par la Snecma. Une vingtaine au total sont prévus. Ils sont destinés à étudier pour Avio le problème d’étanchéité qui apparaît lors du fonctionnement de la turbopompe oxygène du propulseur Vulcain. Il s’agit de connaître le degré de frottement et d’usure, qui donne lieu à une fuite capricieuse, encore mal définie, entre les parties froide et chaude du moteur-fusée. Les ingénieurs Patrick Kreit et Claude Dodet, les techniciens Jean-Pol Dechamps et René Derwael sont mobilisés par cette campagne qui est cruciale pour l’avenir du lanceur européen. Pour Jean-Luc Bozet et Albert Germain, chargés de l’exécution du contrat, il est impératif de maîtriser ce défaut, car l’incertitude concernant cette fuite se traduit par une certaine inconnue dans le fonctionnement d’Ariane 5. L’opérateur Arianespace doit en tenir compte pour garantir la performance auprès de son client.

Etanchéité FR

Cette campagne d’essais grâce auxquels l’Université de Liège peut rendre moins capricieux, donc plus performant, le système européen de transport spatial témoigne du potentiel liégeois en mécanique traditionnelle à laquelle la tribologie est associée. Mais cette référence européenne ne doit pas faire illusion. Jean-Luc Bozet, qui donne les cours de tribologie et de conception des systèmes mécaniques, constate que l’image de la mécanique traditionnelle ne séduit plus les jeunes. Il le regrette. De son point de vue, la tribologie qui fait partie du patrimoine de la mécanique à Liège reste une discipline essentielle pour les industries des transports (automobile, aéronautique, chemins de fer…), pour la production d’énergie (turbines, éoliennes…), pour la propulsion et la stabilisation des systèmes spatiaux… Il reste convaincu que les logiciels de simulation numérique ne pourront pas remplacer les essais sur bancs. Le Département d’Aérospatiale et Mécanique constitue d'ailleurs le cœur du Master "Ingénieur civil en Aérospatiale" qui est unique en Communauté française.

Test cryo FR


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