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Nemo parle vraiment

05/09/2007

Depuis Aristote, on sait que les poissons émettent des sons. Ce mode de communication repose sur plusieurs mécanismes complexes. Grâce à une technique originale, des chercheurs de l’ULg ont montré que les poissons-clowns produisent des messages sonores par voie buccale.

poisson clown

Son émis par le claquement
des mâchoires du poisson-clown.

Enregistrement réalisé à
l'Aquarium de la Rochelle.

Les poissons émettent des sons dans un but de communication. Deux mécanismes principaux président à la production de leurs messages sonores, à l'émergence des voix de l'océan : l'un implique les frottements de parties dures du corps l’une contre l’autre (dents pharyngiennes, nageoire pectorale contre sa ceinture, ect.), l'autre la vessie natatoire. Un nouveau mécanisme vient d'être découvert chez le poisson-clown par une équipe du Laboratoire de Morphologie Fonctionnelle et Evolutive de l'Université de Liège (Prof. P. Vandewalle). Ces travaux, publiés en mai 2007 dans la revue Science, furent dirigés par Eric Parmentier (collaborateur scientifique du FNRS) et réalisés en association avec des chercheurs américains et le Laboratoire de Morphologie Fonctionnelle de l'Université d'Anvers.

Pour la première fois vient d'être décelée chez un poisson, en l'occurrence le poisson-clown, une communication sonore par voie buccale. De sorte que, en maniant l'analogie, on pourrait avancer que ces poissons de la famille des Pomacentridae (environ 350 espèces) «parlent».

Dès les années 30, la littérature scientifique fait état de la capacité du poisson-clown à émettre des sons. Oui, mais comment ? Bien que de nombreuses hypothèses aient été formulées, aucune n'a été testée ni, a fortiori, vérifiée. L'originalité du travail d'Éric Parmentier et de son équipe est précisément d'avoir réussi à démonter le mécanisme de production sonore chez une des vingt-sept espèces de poissons-clowns : le poisson-clown de Clark (Amphiprion clarkii).

Que se passe-t-il ? Lorsque le poisson «jette» la tête en arrière, l'inertie entraîne l'ouverture de la bouche et, simultanément, un abaissement de la langue. Or cette dernière est reliée à la mâchoire inférieure par deux ligaments. Aussi, au-delà d'un certain point, leur extension provoque-t-elle la fermeture très rapide (moins de 10 millisecondes) de la bouche, induisant ainsi un claquement des mâchoires. Le choc des dents est à l'origine du son.

Il reste néanmoins à déterminer comment ce dernier est amplifié. Selon Eric Parmentier, le mouvement des mâchoires engendre peut-être des vibrations dans les ligaments. Ou, autre éventualité, l'amplification se réalise au niveau de la vessie natatoire. Voilà qui sera au centre de prochaines recherches du Laboratoire de Morphologie Fonctionnelle et Évolutive.

Pour arriver à leurs fins, les chercheurs de l'ULg ont filmé avec une caméra à haute vitesse (500 images par seconde) des poissons-clowns de Clark produisant des sons lors de la défense de leur territoire. Ils ont ensuite passé au ralenti les images ainsi récoltées et analysé les mouvements de l'animal. Ils ont alors compris qu'ils devaient focaliser leurs recherches sur la tête.

Étape suivante : insérer de petites billes de plomb dans plusieurs éléments osseux du crâne. Les poissons ont alors été à nouveau filmés à l'aide d'une caméra rapide, mais couplée cette fois à un appareil à rayons X du même type que ceux utilisés dans les hôpitaux pour observer le squelette. De la sorte, il devenait possible de suivre le déplacement des structures osseuses, les billes de plomb bloquant les rayons X et, de ce fait, apparaissant en blanc sur le film. L'analyse des données ainsi recueillies a dévoilé le mécanisme en vigueur pour la production du son chez le poisson-clown.

Néanmoins, les résultats obtenus nécessitaient confirmation. Deux expériences complémentaires ont donc été entreprises. Il a ainsi été démontré qu'un poisson dont les ligaments reliant la mâchoire inférieure à la langue avaient été sectionnés devenait muet. Et que si l'on coupe les dents d'un individu, il se met à produire par la suite un autre type de sons. Les interventions nécessaires furent évidemment pratiquées sous anesthésie.

Plus personne n'en doute désormais, Nemo parle !...


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