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Le virus de Schmallenberg

25/07/2012

En quelques mois, un nouveau virus a réussi à infecter une large majorité des ruminants d’Europe. Peu inquiétants chez les animaux adultes, les signes cliniques sont par contre impressionnants chez les fœtus touchés durant la gestation : avortement, hydrocéphalie, atrophies musculaires. Une équipe du laboratoire de Pathologie de l’Université de Liège suit cette nouvelle épidémie de près.

AgneauEn automne 2011, des éleveurs et vétérinaires de l’est des Pays-Bas et de l’ouest de l’Allemagne découvrent les premiers signes cliniques d’une nouvelle épizootie. Leurs vaches, moutons et chèvres présentent de la fièvre, des diarrhées et une diminution de la production de lait. Ces symptômes touchant très vite un grand nombre de bêtes d’une même exploitation et étant identifiés dans de nombreuses fermes d’une région géographique donnée, la situation ressemble alors bel et bien à la naissance d’une nouvelle épidémie. Restait à trouver et à comprendre la nature de celle-ci pour pouvoir juger de la gravité de la situation et l’enrayer au plus vite. Car si les signes cliniques ne sont pas alarmant chez les ruminants adultes, ceux que présentent les fœtus infectés au cours de la gestation sont nettement plus impressionnants. « Les symptômes observés chez les animaux adultes sont peu spécifiques et ne durent qu’environ une semaine. Par contre, ce nouveau pathogène peut provoquer des avortements et de graves malformations, notamment au niveau du système nerveux chez les jeunes animaux infectés pendant la gestation »,  explique Mutien-Marie Garigliany, docteur en médecine vétérinaire et assistant-chercheur au laboratoire de Pathologie de l’ULg que dirige le Professeur Daniel Desmecht.

Un nouveau virus hybride

Des chercheurs de l’Institut Friedrich-Loeffler (FLI), le principal organisme fédéral allemand de recherche sur la santé animale, n’ont donc pas traîné à rechercher les causes de cette épidémie. Comme les analyses classiques ne donnaient pas de résultats, les scientifiques ont lancé une étude métagénomique. « Cela consiste à amplifier de manière aléatoire tous les morceaux d’ARN et d’ADN que contiennent les prélèvements effectués sur des animaux atteints de la maladie et à tout séquencer ensuite », indique Mutien-Marie Garigliany. En amplifiant de la sorte tout le matériel génétique, les chercheurs sont tombés sur beaucoup de choses sans intérêt telles que des morceaux du génome des animaux malades ou encore du matériel génétique appartenant à des pathogènes classiques des ruminants. « Mais ils ont également mis le doigt sur un génome viral de type Orthobunyavirus proche de celui du virus Shamonda et ils se sont demandé si le problème ne venait pas de là », précise le chercheur liégeois. Sur base des premières séquences obtenues, l’équipe du FLI a créé une première PCR (pour « réaction de polymérisation en chaîne ») et s’est rendu compte que tous les prélèvements d’animaux qui présentaient les signes cliniques contenaient du matériel génétique en provenance de ce virus !

Une fois ce premier constat établi, les scientifiques allemands ont analysé de plus près les morceaux de génome viral. Ils ont alors découvert que le pathogène en cause n’était pas le virus Shamonda mais un nouveau virus. « Comme le virus de la grippe, ce nouveau virus est composé de plusieurs segments génomiques », souligne Mutien-Marie Garigliany. « Le virus de Schmallenberg, du nom de la ville allemande où ont été décelés les premiers cas, contient trois segments génomiques dont deux proviennent du virus Shamonda et un du virus Sathuperi », poursuit-il. Connus et identifiés depuis longtemps, en Afrique d’abord et en Asie ensuite, ces deux virus sont plutôt inoffensifs. « La combinaison particulière des segments génomiques telle qu’on la retrouve chez le virus de Schmallenberg engendre une virulence qui n’est pas observée chez les virus « parents » », indique le chercheur.  

Les cellules nerveuses en ligne de mire

Tout comme le virus responsable de la maladie de la langue bleue (BTV pour « bluetongue virus ») (Lire l'article : La lutte contre la maladie de la langue bleue), le virus de Schmallenberg se transmet d’un animal à l’autre par l’intermédiaire d’un vecteur : les culicoïdes. En effet, des chercheurs de l’University College of London ont démontré que certains de ces moucherons piqueurs sont porteurs du nouveau virus, notamment des culicoïdes prélevés en automne 2011… « Ce qui est extraordinaire », reprend Mutien-Marie Garigliany, « c’est que tout en ayant une virémie très courte, ce virus a réussi à infecter une large majorité des ruminants en Europe. Cela pose question », souligne-t-il. « N’existerait-il pas d’autres moyens de transmission de ce virus ? Plusieurs équipes étudient actuellement cette hypothèse », poursuit le chercheur. 

Le vecteur n’est pas le seul point commun entre le virus de la bluetongue et le virus de Schmallenberg. En effet, comme son prédécesseur, ce dernier peut induire des lésions nerveuses chez les fœtus infectés. « Si l’infection se produit au cours d’une certaine fenêtre de la gestation, suffisamment tard pour qu’un placenta soit en place et suffisamment tôt dans le développement du fœtus, le virus peut atteindre certains tissus et causer des malformations », explique Mutien-Marie Garigliany.

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Le virus de Schmallenberg s’attaque entre autres aux cellules nerveuses et induit leur destruction progressive. Selon le stade de développement auquel le fœtus est infecté, les symptômes varient. Plus tôt le fœtus est en contact avec le virus au cours de son développement, plus il y a de risques d’avortement car les malformations causées ne sont pas compatibles avec la survie du fœtus. Dans la plupart des cas cependant, les jeunes naissent à terme ou légèrement avant et présentent principalement des anomalies au niveau de l’encéphale, notamment de l’hydrocéphalie. « Globalement, l’encéphale est constitué de ventricules, cavités contenant du liquide céphalorachidien, et d’un cortex de tissu nerveux », indique le scientifique. « En temps normal le cortex est épais et les ventricules petits, mais dans le cas d’hydrocéphalie ces proportions s’inversent. Les ventricules occupent une grande place et, dans les cas extrêmes, le cortex n’est plus qu’une fine membrane de tissu nerveux. On parle alors d’hydranencéphalie ».        

Etude d’un cas atypique

Mi-janvier dernier, le Professeur Daniel Desmecht, Mutien-Marie Garigliany et Calixte Bayrou, assistant au laboratoire de Pathologie, se sont vu confier un cas quelque peu atypique. « Nous avons eu la chance de pouvoir étudier un veau vivant et viable malgré une quasi absence d’encéphale », révèle Mutien-Marie Garigliany. « Cela nous a permis d’observer les signes nerveux associés aux lésions de l’encéphale sur un animal vivant ».  L’animal a ensuite été euthanasié pour des raisons éthiques. « Nous avons alors fait des tests pour nous assurer de la présence du virus de Schmallenberg au niveau des lésions ainsi que des tests permettant d’exclure l’implication d’autres virus », précise le chercheur. Ces travaux ont fait l’objet d’une publication en juin dans la revue Emerging Infectious Diseases (1).

La salle d’autopsie de la Faculté de médecine vétérinaire de l’ULg est renommée en Europe, notamment pour son grand nombre d’autopsies de bovins. Fort de cette réputation, l’équipe du laboratoire de Pathologie de l’ULg a reçu énormément de veaux présentant les signes cliniques caractéristiques d’une infection par le virus de Schmallenberg. « En pathologie, nous étudions les lésions sur les individus après la mort, d’abord au niveau macroscopique et ensuite au niveau microscopique », explique Mutien-Marie Garigliany. « Nous avons effectué des prélèvements systématiques au niveau de nombreux organes différents tels que les muscles, les organes internes, la peau etc. Et nous sommes en train d’étudier en détail quels organes sont atteints par le virus de Schmallenberg ». Car si les lésions sont les plus spectaculaires au niveau de l’encéphale, les nouveau-nés infectés présentent d’autres anomalies comme par exemple des atrophies musculaires. « Mettre au jour les organes que ce virus infecte nous aidera à comprendre sa biologie qui semble relativement complexe », continue le chercheur.

Hydrocephalie-hypoplasie

Neuf bovins sur dix infectés en Belgique

Enfin, Mutien-Marie Garigliany et ses collègues ont également entrepris des études sérologiques dont les résultats sont en passe d’être publiés dans la revue Emerging Infectious Diseases également (2). L’une vise à analyser à grande échelle quel est le pourcentage de vaches qui présentent des anticorps contre le virus de Schmallenberg et qui ont donc déjà été infectées par ce dernier. L’autre a pour objectif de détecter la présence d’anticorps contre ce même virus chez des veaux n’ayant pas encore ingurgité le colostrum. « Le colostrum est le premier lait maternel que tout mammifère boit. Il contient notamment des anticorps provenant de la mère. Ainsi, si des veaux qui n’ont pas bu ce lait présentent des anticorps contre le virus de Schmallenberg, ces anticorps résultent uniquement de la réponse immunitaire du veau in utéro », souligne le chercheur.

En ce qui concerne la première étude sérologique, les chercheurs ont notamment démontré que 90% des bovins adultes de Belgique sont séropositifs pour le virus de Schmallenberg. « Nous savons donc qu’une large majorité des bovins a été infectée par le virus fin de l’année dernière », reprend Mutien-Marie Garigliany. Pour ce qui est de l’étude sérologique portant sur les veaux, les résultats montrent, entre autres, que 30% des veaux cliniquement sains présentaient des anticorps contre le nouveau virus avant ingestion du colostrum. « Ces veaux ont probablement été infectés in utero à un moment tardif de la gestation et le virus n’a pas pu interférer avec leur développement », explique le spécialiste.

Les chercheurs liégeois ont publié un article reprenant les faits cliniques, pathologiques, virologiques et épidémiologiques rendus public durant les six premiers mois de l’émergence du virus de Schmallenberg dans la revue Antiviral Research (3).

Une nouvelle vague d’infection attendue pour le printemps-été 2012

Il est difficile de chiffrer exactement le nombre d’exploitations touchées par cette nouvelle épidémie en Europe puisqu’elle continue d’évoluer, mais on parle de plus de 3500 élevages atteints, ovins, caprins et bovins confondus. « Le vecteur a besoin d’endroits humides et relativement chauds, comme les étables, pour survivre. Mais les épisodes plus froids de cet hiver ont empêché la circulation des culicoïdes au cours des derniers mois », indique Mutien-Marie Garigliany. S’il y a donc eu une accalmie de l’épidémie pendant l’hiver, une nouvelle vague d’infection est attendue, mais probablement de plus faible ampleur, avec l’arrivée des beaux jours et des nouveaux veaux.

En ce qui concerne l’évolution de l’épidémie dans les mois à venir, il semblerait que le gros de la tempête soit passé. « Il est probable que certains animaux adultes présentent encore des signes cliniques et que quelques jeunes ruminants naissent avec des malformations pendant la prochaine saison, mais ensuite cela devrait s’arrêter pendant au moins quelques années », reprend le chercheur. « La plupart des animaux auront été infectés et une fois que les mères présentent un taux important d’anticorps dans le sang, ce qui est le cas de 70 à 90% des bovins en Europe, ces anticorps sont neutralisants et empêchent le virus de passer la barrière transplacentaire », poursuit Mutien-Marie Garigliany. Ainsi, le virus de Schmallenberg ne devrait bientôt plus être capable de causer trop de dégâts.

A plus long terme, il se peut cependant que le bétail européen redeviennent progressivement naïf - c’est-à-dire séronégatif pour le virus de Schmallenberg - ou tout simplement que tout le cheptel soit renouvelé d’ici 5 à 6 ans, et l’on pourrait alors assister à une nouvelle épidémie.

Pas de risques sanitaires pour l’homme

Si l’idée de la mise au point d’un vaccin contre le virus de Schmallenberg pour les ruminants a été évoquée au début de l’épidémie, celle-ci a été relativement vite abandonnée pour l’instant car le temps que ce vaccin voit le jour sur le marché, 100% des ruminants auront été infectés par ce virus et seront immunisés.

Quant aux risques pour la santé humaine, ils semblent nuls. « Le virus n’induit pas de signes cliniques chez l’homme. Mieux encore, les hommes ne séroconvertissent pas, c’est-à-dire qu’ils ne produisent pas d’anticorps, même après un contact étroit avec les bêtes malades. Cela montre que le virus de Schmallenberg est incapable d’infecter l’homme », explique Mutien-Marie Garigliany. « Nous avons également fait des tests sur des souris et nous obtenons un résultat identique. Il y a donc une barrière des espèces ». 

L’équipe du laboratoire de Pathologie poursuit actuellement ses recherches sur la biologie du virus de Schmallenberg et tente notamment d’en savoir plus sur ce qui empêche ce virus de franchir cette barrière des espèces. « Nous étudions si cela risque de changer car les conséquences d’une infection de ce virus chez l’homme pourraient être dramatiques », conclut le scientifique. 

(1). Schmallenberg virus in calf born at term with porencephaly, belgium. Garigliany MM, Hoffmann B, Dive M, Sartelet A, Bayrou C, Cassart D, Beer M, Desmecht D. Emerging Infectious Diseases. 2012 Jun;18(6):1005-6. doi:10.3201/eid1806.120104.

(2) Garigliany MM, Bayrou C, Kelijnen D, Cassart D, Desmecht D. Emerging Schmallenberg virus in domestic cattle, spring 2012. Emerging Infectious Diseases, 2012, in press.

(3) Garigliany, M-M., Bayrou, C., Kleijnen, D., Cassart, D., Jolly, S., Linden, A., Desmecht, D., Schmallenberg virus: a new Shamonda/Sathuperi-like virus on the rise in Europe, Antiviral Research (2012), doi: http://dx.doi.org/10.1016/j.antiviral.2012.05.014


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