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La nouvelle règle fiscale «anti-abus» et son incidence sur la planification patrimoniale
09/07/2012

Toujours est-il que lorsqu’une règle légale vient fixer un critère quantitatif en fonction duquel elle prévoit qu’un type de montage spécifiquement visé sera fiscalement efficace ou non, il ne devrait pas pouvoir être question d’identifier un quelconque « abus fiscal » par-delà ce critère (qui « explicite » la volonté législative au sujet du type de montage en question). Par exemple, le Code des droits d’enregistrement combat spécifiquement le montage consistant à donner à une même personne un même patrimoine immobilier de manière morcelée dans le temps (pour déjouer la progressivité du tarif des droits de donation) en prévoyant une « réserve de progressivité » lorsque les donations sont intervenues à moins de trois ans d’intervalle ; si les parties marquent des séquences de plus de trois ans, elles ne peuvent donc pas être inquiétées.

C’est alors sans doute la donation affectée d’un « terme suspensif au décès du donateur » qui, lorsqu’elle est soumise à l’enregistrement au taux réduit, offre à ce jour l’exemple le plus convaincant d’un potentiel « abus fiscal » en matière de planification successorale. Un objectif clairement exprimé qui a présidé à l’instauration d’un tarif réduit de droits de donation dans les trois régions était d’inciter les futurs défunts à transmettre leurs biens de leur vivant pour qu’ils réintègrent plus vite le circuit économique. Or, si une donation est contractée avec un tel terme suspensif, la transmission des biens donnés est reportée au décès du donateur comme si elle ne résultait que de sa succession (« transmission pour cause de décès »). À supposer que le fisc puisse établir qu’une telle donation visait à profiter du tarif réduit des droits de donation (et éviter le taux progressif des droits de succession), et ce, au détriment des buts de la loi, il faut encore voir si ce type de donation ne peut avoir été sous-tendu par d’autres considérations que fiscales. À ce petit jeu, le futur défunt ne pourrait pas se contenter d’alléguer son « intention libérale », celle-ci ne pouvant soutenir que le choix d’une donation « pure et simple », et non celui de la donation en cause telle que « modalisée ». Le donateur pourrait plutôt faire valoir qu’il voulait « sécuriser » un héritier sur ce qu’il obtiendrait à son décès (à défaut d’avoir voulu le mettre effectivement en jouissance des biens donnés avant l’échéance du terme prévu) ; le fisc pourrait alors lui rétorquer qu’un testament-legs aurait pu suffire pour satisfaire un tel besoin ; le futur défunt pourrait encore objecter que la donation offre en principe l’avantage de l’ « irrévocabilité », au contraire du testament…
 
À noter encore que certains préconisent de ne lutter contre ce genre de montage abusif que par des réactions législatives spécifiques (en « colmatant les brèches à chaque fois qu’elles s’ouvrent », en « collant une rustine sur chaque pneu crevé »), faisant alors référence à la manière dont les législateurs régionaux sont venus jadis neutraliser les donations mobilières faites sous condition suspensive du prédécès du donateur (en les assimilant fictivement à des legs en Régions flamande et bruxelloise, ou en les excluant du bénéfice du tarif réduit en Région wallonne). Toutefois, même à supposer que le système législatif soit apte à réagir en temps réel à chaque nouveau type de construction abusive qui lui est révélé (ce qui n’est pas toujours le cas, comme le révèle la saga des clauses dites « de la maison mortuaire »), il reste qu’il y a des montages qui, en jouant sur le découpage d’une même opération en plusieurs actes distincts, rendent une réaction législative « spécifique » beaucoup moins indiquée.

antiabus2Quid ainsi de la donation d’une somme d’argent qui servirait à financer (ultérieurement) l’acquisition par le donataire d’un immeuble du donateur (pour éviter l’application des droits de donation immobilière, lesquels peuvent être élevés entre parents éloignés) ? Quid encore de la donation d’une somme d’argent qui servirait à financer l’acquisition par le donataire de la nue-propriété d’un bien auprès d’un tiers-vendeur – alors que le donateur en acquerrait l’usufruit – (pour empêcher l’application d’une présomption légale prévue par le Code des droits de succession, selon laquelle ce bien aurait été reçu à titre de legs dans la succession de l’acquéreur de l’usufruit) ? Ce n’est peut-être finalement que pour répondre à de telles combinaisons d’actes juridiques multiples (qui sont chacun bien acceptés dans leurs effets singuliers mais qui se compensent ou se complètent par leurs effets conjugués) que l’adoption d’une mesure générale anti-abus a pu sembler absolument nécessaire à notre législateur fiscal.

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