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La nouvelle règle fiscale «anti-abus» et son incidence sur la planification patrimoniale
09/07/2012

♦ Sur la contre-preuve réservée au contribuable (pour renverser la présomption d’abus) :
Les motivations non fiscales qu’il est permis au contribuable de rapporter – pour empêcher l’établissement et le redressement d’un abus dans son chef – ne doivent pas être d’une nature nécessairement « économique ou financière » (au contraire de ce que prévoyait l’ancienne mesure, ce qui avait fait dire qu’elle ne s’appliquerait jamais dans la « sphère privée »), ni avoir été d’une importance prépondérante (« principaux » ou « essentiels ») par rapport aux motifs fiscaux (qui auraient également concouru au choix de la forme juridique empruntée).

C’est la largeur de cette « échappatoire » concédée au contribuable qui tend à conférer à la mesure davantage le caractère de « règle de preuve » que de « directive d’interprétation » : certes, la référence aux « buts » des textes fiscaux va permettre au fisc d’étendre ou de restreindre l’application de ceux-ci au-delà ou en deçà de leur « lettre » (à l’égard de situations juridiques que le législateur n’a pas pu/su respectivement viser ou exclure, mais qui emportent le même résultat matériel ou économique que des situations que le législateur a bien visés ou exclus), mais une telle interprétation « téléologique » voire « analogique » ne sera in fine autorisée que si, une fois que le fisc aurait lui-même satisfait à son fardeau probatoire, le contribuable ne parviendrait pas à prouver l’existence d’un seul autre motif que fiscal au soutien de la voie juridique qu’il a empruntée.

Pour autant, l’exposé des motifs de la nouvelle mesure vient tout de même poser une exigence minimum de pertinence et de consistance (en sorte que le « filet de pêche » au « large maillage » ne relâche pas « tous les poissons »). Il est ainsi précisé que ne pourraient pas être utilement invoqués par le contribuable des motifs qui seraient soit trop généraux ou abstraits (au point qu’ils assortiraient systématiquement tous les actes ou toutes les opérations du même type), soit trop minimes, négligeables ou insignifiants (au point qu’ils n’auraient jamais pu déterminer un sujet normalement raisonnable à passer l’acte ou l’opération en cause).

♦ Sur le redressement fiscal permis au fisc (en cas d’abus avéré) :
Le problème d’une mesure « générale » anti-abus, c’est que comme elle a vocation à s’appliquer à tout type d’acte juridique indéterminé, elle ne peut pas elle-même prévoir comment le fisc devra concrètement traiter ou redresser le cas d’abus auquel il sera spécifiquement confronté : ignorer les actes juridiques en cause purement et simplement, les requalifier d’une certaine manière et dans une certaine proportion ? Ainsi, le fait que les actes juridiques par lesquels se matérialise un abus fiscal soient rendus « inopposables au fisc » n’induit pas nécessairement que le fisc doive se contenter de les nier pour rétablir l’impôt. L’imposition en cause doit être rétablie par le fisc, non pas (nécessairement) comme si les actes juridiques en cause n’avaient pas eu lieu, mais bien comme si l’abus n’avait pas eu lieu.

L’abus qui a alors été identifié à partir d’une « contrariété » bien établie entre les prétentions du contribuable et les objectifs d’une disposition fiscale ne peut donc être redressé qu’en rétablissant dans le chef de ce contribuable les conditions rendant possible une imposition en phase avec les objectifs législatifs contrariés. Cette référence aux buts des lois est ainsi censée empêcher l’administration de redéfinir elle-même les éléments essentiels de l’impôt de manière arbitraire (sur la base de sa propre conception de la « normalité » ou de la « réalité économique »), sans pour autant contraindre celle-ci au respect de tous les effets juridiques des actes réellement passés par les contribuables (au risque de rendre la mesure ineffective). 

Mais la sanction du procédé abusif ne se limiterait pas à le rendre simplement inefficace si, comme semble maladroitement l’y inviter une circulaire ministérielle du 4 mai 2012, l’administration venait à appliquer les accroissements d’impôt qui sont applicables lorsqu’une déclaration n’a pas été remise dans les délais ou avec la forme et le contenu prévus par la loi, ou encore, comporte des omissions ou inexactitudes. Par hypothèse, en cas d’ « abus fiscal », l’intention d’économiser de l’impôt ne se matérialise par aucune violation formelle de la loi fiscale (ou altération de la vérité à l’égard du fisc), mais seulement par un procédé qui tend à contrarier les buts de celle-ci. Ce procédé licite d’ « évitement de l’impôt » ne devrait donc qu’être rendu inefficace dans la mesure où il est abusif, sans être autrement sanctionné.

2) L’impact de la nouvelle mesure en matière de planification patrimoniale :

La donation non enregistrée d’une somme d’argent (faite « de la main à la main », par virement bancaire, ou encore, devant un notaire étranger), forme la plus élémentaire de planification visant à prévenir l’application de droits de succession sur la somme donnée, ne sera jamais « per se » constitutive d’un abus. En effet, le législateur fiscal n’a pas rendu la donation mobilière obligatoirement enregistrable ; il a plutôt expressément prévu d’assimiler à un legs (pour la perception des droits de succession) une telle donation non enregistrée lorsque le donateur décède dans les trois ans de la donation. Plus problématique serait en revanche le cas d’une donation qui serait contractée puis qui ne serait ensuite enregistrée que « in extremis », au moment où, dans les trois années suivant l’acte de donation, le décès du donateur serait devenu imminent sur la base d’une certitude médicale. Sans s’être a priori prémunies par la formalité de l’enregistrement contre le risque de décès du donateur dans les trois ans, les parties neutraliseraient in fine ce risque en enregistrant « sur le lit de mort ». Mais ne s’agit-il pas là plus d’un cas de conscience morale que d’un véritable « abus fiscal » ?

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