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Les pucerons à l'heure du réchauffement climatique
11/05/2017

La suite des travaux a consisté  à s'intéresser à la réponse des pucerons lorsqu’ils perçoivent cette phéromone d’alarme. Comment ceux-ci, dans l'atmosphère enrichie en dioxyde de carbone, allaient-ils réagir à l’émission d'Eβf par leurs congénères, tant en termes de perception du signal chimique par les antennes que de réaction collective? "Nous n'avons constaté aucune différence de perception neuronale sous l'effet du doublement de la concentration en CO2, répond Antoine Boullis. Enfin, dans une dernière étape, nous avons observé la réaction de colonies de pucerons entières sous atmosphère enrichie; et cela, sous l'effet de différentes doses de phéromones que les pucerons sont susceptibles d'émettre en conditions naturelles. Le résultat était clair: quelle que soit la dose de phéromone utilisée, le taux de fuite des pucerons au sein de la colonie était plus faible - quelque 50 % - sous l'effet du doublement du CO2".

Enceintes CO2 Gembloux

Photo des enceintes d'élevage mises en place à Gembloux Agro-Bio Tech

La conclusion des travaux est donc claire. La hausse de la concentration du CO influence directement le signal d’alerte des pucerons via la diminution de trois des quatre signaux analysés. François Verheggen résume le constat en d'autres mots: "En atmosphère enrichie, le "cri d'alarme" laisse davantage indifférent qu'en atmosphère normale". Les pucerons s'en retrouvent plus vulnérables à leurs prédateurs: tout bénéfice pour des insectes auxiliaires comme les coccinelles, qui auront plus facilement accès à leur nourriture. Et... tout bénéfice pour l'agriculteur. 

Un champ de recherches à développer

Vive le réchauffement climatique, dès lors ? Les deux scientifiques n'en tirent pas pour autant une telle conclusion, loin de là. "Nous n'avons travaillé ici que sur un seul modèle, souligne François Verheggen. Il est impossible, à ce stade, de généraliser ces conclusions pour d’autres espèces. Il faudrait aussi impérativement tenir compte des adaptations de la plante aux modifications des concentrations de gaz à effet de serre, et pas simplement des réactions entre insectes". Une autre expérimentation, non publiée à ce jour, va d'ailleurs dans un sens sensiblement différent. Elle semble indiquer que les femelles de syrphes, prédateurs naturels des pucerons (comme les coccinelles), sont davantage stimulées à pondre leurs œufs dans une atmosphère "normale" en CO2  que dans un environnement enrichi. En d'autres mots : les augmentations des concentrations du gaz à effet de serre seraient préjudiciables aux syrphes, ce qui nuirait à l’efficacité de leur prédation sur les insectes ravageurs de type pucerons. On semble être là dans une configuration exactement opposée à celle observée avec les pucerons et les coccinelles sur la fève des marais.

Quoi qu'il en soit, la construction des bâtiments de l'Ecotron est une perspective qui enchante l'équipe du Pr Verheggen. Cette plate-forme, dont l'achèvement est prévu pour août 2017, permettra de réaliser des expérimentations plus sophistiquées dans ce domaine de recherche, en simulant divers environnements agricoles soumis à des modifications atmosphériques, de température, d'hygrométrie, d'ensoleillement etc. "La simulation du climat des prochaines années, telle qu'elle se pratiquera en routine dans l'Ecotron, fera du Laboratoire d'Entomologie fonctionnelle et évolutive de Gembloux Agro-Bio Tech l'une des cinq, voire l'une des trois unités de recherches les plus performantes en Europe pour étudier l'impact des changements climatiques sur les interactions plantes-insectes". 

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