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Des cellules tueuses

12/07/2012

Une équipe de chercheurs de l’ULg étudie les cellules NK (contraction de « Natural Killer » ou « Tueuses naturelles »). Ces cellules, encore peu connues, sont des lymphocytes capables de tuer spontanément certaines cellules infectées par un virus ainsi que certaines cellules cancéreuses et métastatiques. Un des enjeux de l’immunothérapie moderne sera de mieux comprendre leur fonctionnement pour parvenir à maximiser leurs actions.

cellule-Natural-KillerDes scientifiques du Laboratoire de Pathologie Expérimentale du GIGA-Infection, immunité et inflammation de l’Université de Liège, sous la supervision de Nathalie Jacobs, chercheur qualifié F.R.S-FNRS, ont publié deux publications éclairantes sur ce sujet séduisant. La première, article de revue co-signé en premier auteur par Inge Langers (1) et Virginie Renoux, retrace les avancements des connaissances sur ces cellules atypiques depuis leur découverte dans les années 1970 et leur rôle contre les tumeurs et métastases ainsi que contre certains virus. La seconde publication, proposée par Virginie Renoux (2) et faisant la couverture du European Journal of Immunology en novembre 2011, étudie le rôle des cellules NK contre le papillomavirus humain, un virus qui peut entraîner le cancer du col de l’utérus.

Deux publications prometteuses qui opèrent un pas en plus dans la lutte contre un des grands fléaux de notre époque, et qui visent à comprendre ou en tout cas à dévoiler une partie du rôle majeur de ces cellules humaines, agissant comme alliées et protectrices de premier rang contre les invasions virales et cancéreuses.

A la charnière entre deux types de défense contre une agression

En cas d’incursion d’un agent pathogène, le corps se défend de deux manières.

  • D'une manière "innée" (réponse immunitaire innée): c’est une réponse rapide grâce à une reconnaissance de motifs communs à plusieurs pathogènes (ou PAMP pour pathogen-associated molecular patterns).
  • D'une manière "adaptée" (réponse immunitaire adaptative): un processus d'éducation  et d'adaptation permet aux lymphocytes T et B de reconnaître un pathogène particulier ou une cellule tumorale grâce à leur récepteur spécifique. Cette réponse est plus lente à se mettre en place et nécessite l'intervention de la réponse innée, mais elle développe une mémoire permettant une réponse plus rapide dans le cas d'une 2e agression par un même pathogène.

Qu’en est-il de ces fameuses cellules NK, ressemblant à des lymphocytes, mais n’arborant pas les mêmes récepteurs spécifiques de reconnaissance que leurs « cousins », bien connus, eux ? Qu’en est-il également de cette capacité à tuer spontanément des cellules cancéreuses ou infectées par un virus, et surtout, comment s’y prennent-elles pour les reconnaître et les lyser ? Toutes ces questions longtemps demeurées sans réponses auront facilité un premier baptême de la cellule NK sous le nom ingrat de « lymphocyte nul », puisqu’elle n’avait aucun récepteur connu et donc était présupposée sans système de reconnaissance sophistiqué et sans mémoire.

« Aujourd’hui, explique Nathalie Jacobs, des études suggèrent que ces cellules peuvent aussi passer par des processus d'éducation et développer une forme de mémoire. Pour reconnaître une cellule cancéreuse, elles ont également des récepteurs qui fonctionnent différemment de ceux des lymphocytes T et B. On peut donc dire que de par leur nature, elles sont à la charnière entre les deux types d’immunité. Elles interagissent également avec les cellules de l'immunité innée pour permettre une meilleure activation des cellules de l'immunité adaptative. » On peut donc dire que les lymphocytes NK partagent des caractéristiques des 2 types de réponses immunitaires et servent de pont entre ces 2 réponses.

Balance entre récepteurs inhibiteurs et activateurs

Un lymphocyte T cytotoxique, pour détruire une cellule tumorale ou infectée par un virus, doit exprimer à sa surface un récepteur spécifique qui reconnaitra un antigène tumoral (ou viral) présenté par une molécule du complexe majeur d’histocompatibilité (CMH) (figure 1). Cependant, la proportion de lymphocytes T cytotoxiques possédant un récepteur spécifique à un virus ou à une cellule tumorale est très faible et le lymphocyte doit d'abord proliférer grâce à des signaux donnés par la réponse immunitaire innée pour enclencher une réponse efficace.

Par contre, une cellule NK comme son nom l'indique peut tuer "naturellement" et rapidement. Pourquoi et comment:

Tout d'abord parce elles possèdent déjà les armes pour tuer les cellules alors que les lymphocytes T doivent encore les fabriquer (figure 1). Ces armes sont contenues dans des granules cytotoxiques qui après liaison avec la cellule tumorale libèrent des granzymes et des perforines. Les perforines sont des protéines qui, comme leur nom l’indique, vont perforer la membrane de la cellule cible. Les granzymes sont des protéines cytotoxiques qui vont alors pénétrer la cellule cible et dégrader son ADN pour mener à l’apoptose ou  mort programmée de la cellule.

Mode-de-reconnaissance-cellule-tumorale

Les cellules NK possèdent toutes des récepteurs permettant de distinguer potentiellement les cellules tumorales  ou infectées par un virus d'une cellule normale.

ABCrecepteurs-inhibiteurs-activateursLa reconnaissance de la cellule anormale par la cellule NK se fait grâce à une balance entre les signaux induits par des récepteurs inhibiteurs et activateurs:

A : Les récepteurs inhibiteurs (découverts par Klas Kärre) reconnaissent les molécules de CMH de classe I présentes à la surface de toutes les cellules normales (à l’exception des spermatozoïdes). Elles permettent la reconnaissance du "soi" par le système immunitaire et présentent les antigènes aux lymphocytes T cytotoxiques. Les récepteurs inhibiteurs vont bloquer le processus de lyse indépendamment de l'antigène présenté et donc protéger les cellules normales de la  destruction par les cellules NK.
B : Les récepteurs activateurs se lient à des molécules qui ressemblent aux  molécules de CMH mais qui sont induites suite à un stress cellulaire comme la transformation tumorale ou une infection. Ces récepteurs vont activer le processus de lyse si ce signal est suffisamment important pour lever l'inhibition induite par les récepteurs inhibiteurs.
C : Afin d'éviter la reconnaissance par les lymphocytes T, les cellules tumorales ou infectées n'expriment plus (ou moins) de molécules de CMH, mais elles seront d'autant plus sensibles à une attaque par les cellules NK qui ne seront plus inhibées par leurs récepteurs inhibiteurs.

Ces molécules de CMH de classe I pourraient aussi être à la base d’une forme d’éducation des cellules NK. « Par exemple, illustre Nathalie Jacobs, des études sur des souris qui n'ont plus certains types de CMH ont montré qu’il n’y avait pas de réponse des lymphocytes NK vis-à-vis de cellules tumorales. On suppose donc que, privés de cette reconnaissance préalable de l’appartenance d’une cellule à un corps (reconnaissance du "soi"), ils ne s’activent pas. »

Tueuses du cancer et bien plus encore

Si les cellules NK sont étudiées depuis moins longtemps que les lymphocytes T, leur efficacité contre les cellules tumorales n'est en tout cas plus à prouver. Par exemple, il a été démontré que les personnes dont les cellules NK étaient moins efficaces à détruire des cellules tumorales dans un test réalisé au laboratoire étaient davantage sujettes au risque de développer un cancer. Outre leur rôle de défense contre les cellules tumorales, les cellules NK sont également susceptibles de s’attaquer à des cellules infectées par un virus. « Plusieurs études ont permis d'émettre l’hypothèse d'un rôle des cellules NK dans le contrôle de l'infection par HIV (ndlr : virus responsable du SIDA), par exemple. Les personnes dites « contrôleurs élites » (infectées par le virus mais n’ayant pas développé la maladie) avaient des cellules NK avec une plus grande activité cytotoxique que les personnes ne contrôlant pas l'infection HIV». Enfin les cellules NK soutiennent également la réponse immunitaire adaptative en stimulant les cellules présentatrices d'antigènes et en secrétant des cytokines qui activeront les lymphocytes T.

Des cellules longtemps restées dans l’ombre

Les lymphocytes NK ont été observés pour la première fois dans les années 1970, mais ont encore beaucoup de secrets à livrer. « Il est vrai, pondère Nathalie Jacobs, que les scientifiques se penchent davantage sur la réponse immunitaire adaptative dont les acteurs sont les lymphocytes T ou B qui fournissent une immunité plus ‘sophistiquée’. De plus, les cellules NK sont une population minoritaire dans le sang, elles représentent moins de 10% des globules blancs sanguins. Jusqu’il y a peu, peu de récepteurs de ces cellules étaient connus ce qui les rendaient moins facile à isoler et à étudier »

Mais l’évolution de l’intérêt de ces cellules est loin d’être linéaire. Peu de temps après la découverte de ces cellules capables de s’attaquer spontanément aux cellules cancéreuses, les premières études sur ces cellules ont suscité un vif intérêt dans les laboratoires d’immunothérapie. « Dans le courant des années 80, retrace Nathalie Jacobs, des chercheurs ont essayé d'amplifier l'activité anti-tumorale des cellules NK, notamment en les mettant en présence de cytokine telle que l’interleukine 2 (IL2). Les cellules NK activées tuaient plus efficacement les cellules tumorales et des résultats très encourageants ont été obtenus chez des souris. »

A ces études ont succédé des essais cliniques qui n’ont malheureusement pas donné des résultats très probants. Il a en effet fallu administrer des concentrations élevées d’IL-2 pour pouvoir activer in vivo les cellules NK des patients cancéreux. Or, à forte dose, l’IL-2 est toxique. Ce qui revient à soigner un problème en en infligeant un autre. L’IL-2, de surcroît, active un autre type de cellules, les lymphocytes T régulateurs. Ces lymphocytes assurent une fonction régulatrice: ils contrôlent la réponse immunitaire afin d’éviter un emballement de celle-ci qui conduirait à des maladies auto-immunes. Dans le cas présent, ces cellules inhibaient les cellules NK, ces mêmes cellules que les chercheurs tentaient d’activer.

Parvenir à activer les cellules in vivo

« Suite à cet échec clinique, explique Nathalie Jacobs, et face à l’incompréhension du fonctionnement de ces cellules, l’engouement qu’elles avaient suscité est donc retombé. Maintenant que l'on commence à comprendre comment elles fonctionnent, l'intérêt pour ces cellules revient depuis quelques années. Et pour les stimuler sans activer d’autres cellules qui les inhiberaient, on tente de trouver d’autres cytokines qui seraient moins toxiques que l’interleukine 2, afin de pouvoir les utiliser en immunothérapie. » Plus largement, la découverte plus récente que ces cellules jouent un rôle important dans la réponse immunitaire comme pont entre la réponse immunitaire innée et adaptative fait que de nombreuses équipes s’y intéressent aujourd’hui.

L’équipe de Nathalie Jacobs s’est penchée sur un cas tout particulier, à la charnière des capacités de la cellule. « Nous nous focalisons sur les infections par certains papillomavirus humains (ou HPV), ces virus pouvant induire des cancers et notamment le cancer du col de l’utérus. Ce modèle nous offre donc la possibilité d'étudier la réponse anti-virale dirigée contre le virus, mais aussi la réponse anti-tumorale dirigée contre la tumeur induite par ces virus. »

Un cas d’étude double des réactions des NK, le modèle HPV

L’équipe de Nathalie Jacobs est la première équipe à émettre l’hypothèse que les cellules NK pouvaient reconnaitre les papillomavirus humains (HPV) et répondre à une infection par ces virus. Les HPV qui infectent les muqueuses sont très répandus. Au cours de leur vie, entre 50 et 75% des femmes seront infectées par ce virus. « Ceci étant dit, sur l’ensemble des femmes contaminées, moins d’1% développera un cancer du col de l’utérus alors que plus de 90% d’entre elles auront éliminé le virus dans les deux ans après l'infection. »

Les femmes ayant une réponse immunitaire déficiente, comme celles atteintes du SIDA, développent plus fréquemment un cancer du col de l'utérus ce qui suggère que le système immunitaire joue un rôle important dans la lutte contre cette tumeur. Cependant, les cellules impliquées dans cette réponse immunitaires ne sont pas bien définies. « Dans la littérature, une infiltration de cellules NK a été décrite dans les lésions associées à l'infection par l'HPV alors que ces cellules sont très rares dans les tissus normaux correspondant à ces lésions. Nous avons confirmé cette infiltration de cellules NK avec un marqueur plus spécifique pour ces cellules et nous avons donc voulu étudier l’interaction entre ce virus et ces lymphocytes. »


Pour étudier l'interaction entre le virus et les cellules, il n'était pas possible d'utiliser directement le virus car celui-ci est très difficilement produit en laboratoire car il nécessite des cultures cellulaires en 3 dimensions. « Nous avons donc mené nos expériences en utilisant des virus like particules (VLP). Extérieurement, ces pseudoparticules virales ressemblent au virus mais elles ne contiennent pas son matériel génétique. Ce sont ces mêmes VLP qui sont à la base des vaccins existant contre le cancer du col de l’utérus. »

Grâce à ces pseudoparticules virales,  l’équipe de l’ULg a démontré que la cellule NK était capable de reconnaître le virus et de l'internaliser grâce à un récepteur présent à leur surface, le CD16.  De manière intéressante, lorsque les cellules NK interagissent avec le virus elles produisent des cytokines (i.e. l'interféron-γ) qui peuvent amplifier la réponse immunitaire. Comme les cellules NK sont des cellules tueuses, leur activité lytique a également été analysée. Les pseudoparticules virales induisent la libération des perforines et granzymes contenus dans les granules cytotoxiques des cellules NK. Les cellules tumorales HPV+ qui expriment des molécules reconnues par les récepteurs activateurs des cellules NK sont alors lysées plus efficacement. Par contre, les cellules épithéliales normales, qui n'expriment pas de molécules pouvant être reconnues par les cellules NK, ne sont pas sensibles à leur activité cytotoxique en présence des VLP. « Ces résultats nous permettent d'imaginer que les cellules NK ont donc un rôle dans la lutte contre l’infection par les HPV. Mais nous sommes les premiers à avoir montré l’activité de ces cellules dans cette pathologie, et tout le monde n’est pas encore prêt à nous croire. A nous de les convaincre en continuant à mieux comprendre les mécanismes d'action de ces cellules  »

Ces recherches novatrices sur le rôle des NK contre le développement du cancer du col de l’utérus pourraient mener à envisager de nouvelles manières plus efficaces de prévenir la maladie. Quoi qu’il en soit, ces cellules n’ont pas encore livré tous leurs secrets et nous promettent encore de belles surprises.

(1) I. Langers,V. Renoux, M. Thiry, P. Delvenne, N. Jacobs. (2012, April). Natural Killer cells - role in local tumor growth and metastasis. Biologics: Targets and Therapy.http://hdl.handle.net/2268/113249
(2) V. Renoux, B. Bisig, I. Langers, E. Dortu, B. Clemenceau, M. Thiry, C. Deroanne, A. Colige, J. Boniver, P. Delvenne, N. Jacobs. (2011). Human papillomavirus entry into NK cells requires CD16 expression and triggers cytotoxic activity and cytokine secretion. European journal of immunology, 41(11), 3240-3252. http://hdl.handle.net/2268/97398


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