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Modéliser la pollution d'un estuaire
10/07/2012

Une de ces variables, ce sont les sédiments en suspension dans l’eau. Non seulement, l’estuaire n’est pas un simple tuyau, mais de plus, l’eau de l’Escaut n’est pas limpide comme de l’eau du robinet. Elle est trouble, remplie de microparticules d’origine minérale ou organique. « Et certains polluants ont une propension à s’accrocher à ces microparticules, explique Eric Delhez, ce qui influence évidemment leur dynamique de transport. Celle-ci sera différente de celle d’une substance qui est dissoute dans l’eau. » En tenant compte de ce que les chercheurs appellent le « coefficient de partition » (la propension d’un polluant à accrocher les sédiments), il est possible de calculer le temps qu’un polluant déterminé mettra pour descendre le fleuve. Le modèle des chercheurs liégeois montre qu’un verre d’eau pure versé dans l’Escaut à Gand arrivera 60 jours plus tard à Vlissingen, 160 kilomètres plus loin dans l’estuaire. Tandis qu’un polluant ayant une forte propension à s’accrocher aux sédiments arrivera seulement après 160 jours à Vlissingen. Pourquoi cette différence ? En s’accrochant aux particules, les polluants vont sédimenter et se déposer au fond du fleuve, avant d’être remis en mouvement lors d’un épisode d’agitation du fleuve, par exemple les marées de vives-eaux ou les tempêtes, et d’aller se redéposer au peu plus loin, et ainsi de suite…

Distribution-rejet
La théorie de l’âge 

« Cette modélisation, explique Eric Delhez, utilise la notion « d’âge » ou de « temps caractéristique ». Ce sont les concepts et les équations qui permettent de quantifier la vitesse à laquelle divers processus se déroulent, ici un processus de transport. C’est une notion que peuvent intégrer les biologistes ou les chimistes, une monnaie d’échange entre les ingénieurs de bureau que nous sommes et les autres scientifiques qui s’intéressent comme nous à l’état de santé de nos cours d’eau. » Le chimiste peut en effet estimer si tel ou tel processus a le temps de se réaliser en 60 jours ou en 160 jours. De la même manière, un biologiste pourra estimer l’impact d’une pollution, par exemple aux métaux lourds, sur la faune et la flore selon le temps que le polluant reste dans l’estuaire. La théorie de l’âge, qui fonde le modèle numérique liégeois, est un concept général dont l’application dépasse la modélisation hydrologique. Elle est par exemple aussi utilisée pour calculer la propagation d’un nuage radioactif à la suite d’un accident nucléaire comme Tchernobyl ou Fukushima.

Pourrait-on imaginer de vérifier la validité de la simulation numérique en réalisant des mesures sur le terrain ? « Certains aspects du modèle sont validés en comparant les concentrations calculées avec les mesures in situ prises par les océanographes de terrain. Les notions d’âge ne sont par contre pas directement accessibles à l’expérience, explique Eric Delhez. Si expérimentalement vous déposez quelques litres de polluant à Gand, aucun instrument actuellement disponible ne mesurera quoi que ce soit 160 jours plus tard à Vlissingen. L’estuaire de l’Escaut est un laboratoire naturel bien trop vaste. La seule possibilité serait de prendre des mesures à l’occasion d’une grosse pollution accidentelle. » On peut éventuellement l’attendre, se préparer à réagir. De là à l’espérer, il y a un pas que le chercheur ne franchit évidemment pas.

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