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La Belgique neutre, barrière ou voie de traverse ?
14/06/2012

Camp-Anvers-1859

« Il importe de distinguer les plans de guerre des intentions belliqueuses », souligne Christophe Bechet. « Toutes les armées européennes de l’époque ont des plans de guerre afin de ne pas être prises au dépourvu. Ces plans sont mis en œuvre uniquement le jour où la guerre éclate ». Pour paraphraser la maxime célèbre de Clausewitz, « la guerre n’est jamais que la continuation de la politique par d’autres moyens ».

A la veille de la guerre de 1870, relève notamment l’historien liégeois, les services de renseignements de l’armée française identifiaient clairement trois lignes possibles d’offensive prussienne contre la France, dont une par la vallée de la Meuse en direction de la trouée de Chimay et de la vallée de l’Oise. Ils s’intéressaient aussi, pour la première fois, à la traversée des Ardennes et à la « trouée du Luxembourg » (devenue hautement stratégique).

De son côté, Bismarck avait depuis longtemps exprimé ses craintes devant les appétits ferroviaires français au Grand-Duché de Luxembourg. Au cours des années 1850 et 1860, la Compagnie de l’Est français y avait multiplié les acquisitions de lignes de chemins de fer, devenant de facto, aux yeux du futur chancelier du Reich, un instrument de l’impérialisme français. Bismarck subodorait que le contrôle des voies de communication dans le « Gibraltar du nord » allait bientôt supplanter les forteresses… C’est en vain, cependant, que la diplomatie prussienne s’opposera à l’acquisition par les Françaisde la majorité du réseau grand-ducal, perdant ainsi le contrôle, à son grand dam, d’un couloir de communication jugé essentiel vers la Belgique.

L’intérêt prussien pour le réseau luxembourgeois ne se démentira plus par la suite, avant comme après la guerre franco-allemande de 1870. C’est dire à quel point le rail compte à cette époque dans le subtil jeu d’équilibre entre les Puissances.

La crise ferroviaire franco-belge de 1869

Ce bras de fer franco-allemand sur le rail luxembourgeois sera suivi très attentivement en Belgique – et par le Premier ministre Frère-Orban lui-même, pour des raisons aussi bien économiques que stratégiques.

En 1868, le réseau ferroviaire belge est un curieux mélange de propriété privée et propriété publique. Plusieurs lignes sont gérées par l’Etat. Ainsi en est-il par exemple du principal axe économique vers l’Allemagne : Ostende/Anvers – Malines – Louvain – Liège – Verviers – Aix-la-Chapelle. A l’est de la Belgique, les compagnies privées restent néanmoins majoritaires. Deux d’entre elles, la Compagnie du Grand-Luxembourg (qui n’a de « belge » que le statut juridique) et la Compagnie du Liégeois-Limbourgeois, aiguisent les appétits français. Mais le gouvernement belge s’oppose fermement à toute cession. Rien n’y fait. Le 30 janvier 1869, la Compagnie de l’Est français – encore elle ! – signe une convention simultanée avec les deux compagnies belges lui conférant les droits d’exploitation sur leurs lignes pour une période de 43 ans.

L’affaire – aux accents politico-financiers marqués, fait grand bruit. Elle échauffe les esprits et la réplique belge ne se fait pas attendre. Le 13 février, une loi est votée à la Chambre. Elle interdit non seulement à toute compagnie privée de céder ses droits d’exploitation à une autre compagnie sans l’aval du gouvernement, mais permet en outre à l’Etat belge de se saisir de l’exploitation de la ligne cédée en cas de refus. S’ensuit une violente campagne de presse parisienne accusant la Belgique d’être aux ordres de Bismarck !

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