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Une éolienne dans le paysage…

06/06/2012

L’implantation d’un parc d’éoliennes près de chez soi ne laisse personne indifférent. Pourtant, une recherche a montré que certains paysages gagnent à être plantés d’éoliennes. Et que si les promoteurs veillaient à mutualiser les bénéfices autant que les inconvénients, les projets de parcs seraient mieux acceptés par la population concernée.

Eolienne-paysageSi l'énergie produite par des éoliennes reste peu importante en Belgique, celles-ci commencent à s’imposer dans le paysage. En début de cette année 2012, la Wallonie compte 246 éoliennes en fonctionnement sur son territoire, représentant une puissance installée de 541 mégawatt MW. La Flandre en abrite 130 et le territoire fédéral au large des côtes 61. Au total, la puissance installée des éoliennes s’élève à 1078 MW (contre, par exemple, 5700 MW pour les 7 réacteurs nucléaires en activité en Belgique). Le choix des lieux d’implantation est bien évidemment guidé par des critères techniques comme force, fréquence et direction des vents dominants ou le degré d’urbanisation (il n’existe pas de grandes éoliennes dans les agglomérations urbaines). En Wallonie, il est demandé de les regrouper dans des parcs plutôt que d’installer des unités esseulées, pour des raisons économiques bien sûr, mais aussi pour restreindre les nuisances visuelles. Car l’insertion d’une telle machine (souvent de plus de 100 mètres de hauteur) dans un paysage n’est jamais neutre. C’est pourquoi la KUL et l’ULg ont uni leurs forces, sous la houlette de la Politique scientifique fédérale, pour étudier l'insertion des éoliennes dans le paysage ainsi que les attitudes sociales développées par la population lors de la construction d’un parc éolien.

La recherche (1) a été initiée en 2007 dans le cadre d'un appel à projet de la Politique scientifique fédérale (Belspo) appelé SSD (Science for a Sustainable Development). L'initiative en revient à la KUL (professeurs Van Rompaey et Kesteloot) qui voulait réunir des départements de géographie physique et de géographie humaine. Pour la Wallonie, l’étude a été menée par Serge Schmitz et Vincent Vanderheyden, professeur et assistant au service de géographie rurale de l’Université de Liège.

La première partie de l’étude visait donc à déterminer la capacité de certains paysages à accueillir des éoliennes. Autrement dit, tenter de répondre à la question de savoir si certains paysages sont mieux adaptés que d’autres à l'implantation des éoliennes. “Il existe une convention européenne du paysage (Convention de Florence adoptée le 20 octobre 2000 et entrée en vigueur le 1er mars 2004) qui a pour objet de promouvoir la protection, la gestion et l’aménagement des paysages européens, rappelle Vincent Vanderheyden. Dans ses recommandations, la convention précise que le paysage n'est pas qu'un objet géographique déconnecté de toute réalité sociale, mais qu'il est perçu par les populations, que ce sont elles qui l'ont façonné au cours du temps et que l'objet social du paysage ne peut pas être négligé; il faut donc prendre en compte l'avis des populations.”

Pour déterminer les préférences paysagères des Belges, les chercheurs ont montré une série de photos à un échantillon représentatif de plus de 1500 personnes, lors d’une enquête face to face en porte à porte. Sur certaines photos, des simulations de parcs éoliens avaient été ajoutées. Chaque photo existait avec et sans éoliennes. Bien sûr, les deux clichés n’étaient pas montrés aux mêmes personnes pour  qu'elles ne soient pas influencées. De même, toujours par souci de ne pas influencer, les enquêteurs ne précisaient pas qu’ils faisaient une enquête sur les éoliennes.

Les paysages ruraux choisis étaient représentatifs de la diversité paysagère du pays, et pas du tout de leur capacité éventuelle à accueillir un jour des éoliennes. Par contre, lors des trucages des photos, un maximum de règles étaient respectées pour rester le plus plausible possible, par exemple la distance légale vis-à-vis des habitations s’il y en avait sur la photo, la proportion des mâts, etc. Les personnes sondées devaient se prononcer sur le caractère attractif d’un paysage sur une échelle allant de 1 à 7 c’est-à-dire de pas du tout attractif à très attractif. “Nous disposions donc d’évaluations de paysage avec et sans éoliennes que nous avons pu comparer, résume Vincent Vanderheyden. Nous avons ainsi pu déterminer si dans tel paysage, la présence d'une éolienne a sensiblement dégradé l'appréciation que les gens ont de ce paysage. Bien entendu, la plupart du temps, comme on s’y attendait, la présence d'une éolienne diminue l'attractivité des paysages. Mais dans certains cas, les éoliennes augmentent la valeur d'attractivité du paysage. C'est le cas, par exemple, de paysages avec friches, de zonings industriels, etc. Donc peu attractifs pour la plupart d’entre-nous. Le fait d'y ajouter une éolienne leur rendait en quelque sorte une utilité.”

Simulation-parc-eolien

La seconde partie de l’étude visait à mieux cerner les attitudes des riverains de parcs éoliens. Les chercheurs ont commencé par cibler 5 parcs, trois en Flandre et deux en Wallonie, quatre où des éoliennes tournaient déjà et un qui n’était alors qu’à l’état de projet (il a été réalisé depuis lors). Côté wallon, les parcs de Houyet, près de Beauraing, et de Mettet ont été choisis. Le premier parce qu’il s'agit d'une initiative émanant des citoyens eux-mêmes, voulue par des personnes actives dans la cause environnementale. Ses promoteurs ont désiré y faire participer la population locale, notamment en faisant de celle-ci des actionnaires, rémunérés sous forme d’énergie mise à disposition. L'une des éoliennes était même réservée aux enfants, les parents achetant des parts en leur nom. Le second site wallon a été choisi parce qu’il était l'opposé du précédent. Il s’agit cette fois d’une initiative industrielle qui prévoyait au départ l’érection d’une quarantaine d’éoliennes réparties dans plusieurs parcs. Lors de son lancement, ce projet avait suscité une forte opposition initiée par quelques personnes, notamment parce que des habitations allaient être encerclées par les éoliennes. Le promoteur a donc dû revoir son projet à la baisse et ne développer qu'un seul bouquet d'éoliennes dans la partie où le paysage avait le moins de valeur aux yeux des habitants. Côté flamand, un site situé près de Beveren a été sélectionné parce qu’il est à cheval sur deux communes l'une favorable et l'autre pas. Le parc de Middelkerke, proche de la côte, a été choisi parce qu’il est ancien et a été développé en plusieurs phases donc avec des technologies différentes et parce qu’il y a beaucoup de résidences secondaires dans les environs, ce qui était susceptible de modifier les points de vue. Enfin, le site de Courtrai, situé dans un parc industriel, a été retenu… parce qu’il n’existait pas encore au moment où la recherche démarrait. C’était donc l’occasion d’accompagner le processus de mise en place.

Le but de cette seconde partie de l’enquête était donc de comprendre la formation des attitudes face à l'implantation d'éoliennes. Les chercheurs ont rencontré des acteurs du développement éolien et des opposants, des représentants des autorités, des responsables de l'Association pour la promotion des énergies renouvelables (APERe) côté francophone, car ils ont mission d'être des facilitateurs éoliens pour la région, et son équivalent flamand. Et bien sûr aussi les promoteurs des projets, les autorités locales et des riverains.

Lors des interviews, les chercheurs essayaient de reconstruire l'évolution des sentiments au cours du temps. “Nous avons examiné les différents discours tenus sur l'énergie renouvelable à différents niveaux, explique Vincent Vanderheyden. Tout d'abord, la nécessité du développement d'énergies renouvelables est unanimement reconnue au niveau... international. Il en va de même au niveau national: on sait qu'on a des engagements européens à tenir. Quand on arrive au niveau régional, compétent pour le développement des éoliennes en Belgique, on s'aperçoit qu'il y a une différence qui commence à poindre entre, d'un côté, la nécessité de développer des énergies renouvelables et, de l'autre, l'intérêt personnel: “il faut développer ces énergies, mais pas chez moi!”. Ces divisions s'accentuent au niveau local: pour les riverains, il y a mutualisation des inconvénients mais pas des bénéfices.”

Le premier argument avancé pour traduire cette frustration est visuel: “mon paysage va être modifié”. Viennent ensuite des arguments portant sur le bruit, bruit des machines en elles-mêmes si elles sont anciennes, bruit du déplacement d’air, du souffle si elles sont de technologie plus récente. C'est un bruit qui n'est pas intense en décibels, mais qui peut être très gênant quand on se focalise dessus. Pour certains, il y a aussi un effet stroboscopique dû à la rotation des pales devant la lumière du soleil. Enfin, certains avancent des arguments un peu plus fallacieux comme la crainte d’un bris de pales par exemple ou la perturbation des couloirs de migration des oiseaux! L'aspect économique est également très présent. Pour des agriculteurs, et surtout des maraîchers exploitant de petites surfaces, l'ombre d'un mat de 150 mètres n'est pas sans importance... mais cela peut être compensé par la location des terrains: une seule éolienne représente environ 5.000 euros de revenu par an! Autre argument économique: la moins value potentielle sur une maison ou un terrain. L'argument de l'emploi ne semble pas non plus être pertinent aux yeux des opposants: les éoliennes ne sont pas construites chez nous et les seuls emplois durables sont donc ceux relatifs à la maintenance et, dans une moindre mesure, aux travaux de terrassement. “Dans tous ces discours, résume Vincent Vanderheyden, ce qui domine, ce qui est déterminant, c'est cette impression que les inconvénients sont pour soi tandis que l'autre (le promoteur, le propriétaire du terrain à côté du mien où va être implantée l'éolienne, le producteur d'électricité, etc.) sera gagnant, va empocher les bénéfices.”

Bien entendu, ces arguments ne sont pas absolus. Ils varient en fonction de la taille du parc (plus l'initiative paraît artisanale et peu industrielle, mieux elle sera acceptée) et de la nature des décideurs (l'initiative locale aura davantage les faveurs des citoyens). Enfin, les chercheurs ont également pu constater une évolution des perceptions au fil du temps. Le moment-clé est celui de l'annonce du projet d'implantation d'éoliennes dans un lieu. Cette annonce est obligatoire; elle se fait sous forme de réunions publiques au cours desquelles le projet est présenté. “C'est le moment où se forgent les premières opinions, qui, souvent, vont perdurer”, souligne Vincent Vanderheyden. C'est aussi à ce moment que se forment les groupes, en général d'opposants. En fait, les attitudes évoluent à peu près selon une courbe en U. Eolienne-VacheAvant toute annonce de projet d'implantation, tout le monde trouve cela positif. Au moment de l'annonce, le rejet est souvent fort, argumenté. Lorsque les éoliennes fonctionnent depuis un certain temps, une partie des riverains ont abandonné leur opposition. Mais pour qu'il en soit ainsi, il faut respecter certaines règles. Il est impératif de réduire les coûts locaux (bruit, défiguration du paysage, etc.) et d'accroître les bénéfices locaux (système d'actionnariat local, création d'emplois locaux dans la maintenance, fourniture d’électricité moins chère). Des règles de bonne pratique en quelque sorte, dont les promoteurs devraient s’inspirer.

(1) Landscape capacity and social attitudes towards wind energy projects in Belgium, A. Van Rompaey et al., Belspo, 2011.


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