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Alzheimer : quand on ne sait pas qu'on sait...
15/03/2017

Dans la sphère de la métacognition en lien avec la mémoire épisodique, les résultats de l'étude publiée dans Cortex ont surpris ses auteurs eux-mêmes. Primo, ils vont à contre-courant de la notion d'anosognosie, trouble neuropsychologique cependant largement décrit dans la maladie d'Alzheimer. Secundo, ils sont en contradiction avec ceux d'une étude(2) menée auparavant par une équipe franco-anglaise à l'Université de Leeds et au cours de laquelle les patients surestimaient la probabilité de mener à bien une tâche de mémoire épisodique. Toutefois, la nature de l'expérience n'était pas la même. D'abord, la tâche à remplir n'était pas écologique : elle reposait sur des associations de mots sans lien particulier (« chaise » et « pomme », par exemple), le patient devant se remémorer le second terme d'une paire dont on lui proposait le premier. Ensuite, et surtout, le test ne faisait appel qu'à une vingtaine d'items. Ce qui conduit Sarah Genon à émettre une hypothèse explicative : « Il est probable que la réaction première de patients Alzheimer amenés à effectuer une tâche à laquelle ils ne sont pas habitués est de surestimer leurs capacités. Dans la tâche que nous avions élaborée, ils ont été souvent mis en échec durant la phase d'apprentissage, qui était ardue. Ils ont donc été confrontés à leurs difficultés. » Et d'ajouter : « Plusieurs travaux ont révélé que, même chez les patients anosognosiques, il est possible d'induire une conscience très temporaire de leurs dysfonctionnements mnésiques pendant le déroulement d'une tâche. »

Dans une étude non encore publiée, la chercheuse arrive à une conclusion inverse de celle tirée de ses premiers travaux. Mais, ici encore, la tâche était plus aisée - 20 items seulement, remémoration d'un prénom uniquement, test plus ludique... Bref, moins de mises en échec dans la phase d'apprentissage. À ses yeux, il faut déduire de l'ensemble des (rares) données disponibles que les patients Alzheimer jugent mal leur fonctionnement mnésique, surestimant ou sous-estimant leurs capacités de mémoire selon l'environnement social et les circonstances.

Stimulations corticales ?

L'article paru en octobre 2016 dans Cortex met en évidence une corrélation entre le nombre de jugements inappropriés et le volume de matière grise des patients Alzheimer mesuré en IRM structurelle. Plus les malades se trompent dans l'évaluation de leurs capacités mnésiques, moins il y a de matière grise dans une région particulière du cerveau : le cortex préfrontal latéral droit, dont on connaît l'implication dans des processus de monitoring comme ceux qui nous permettent de contrôler notre comportement, de sélectionner l'information pertinente ou encore de « gérer » notre mémoire.

Quelles sont les retombées possibles des travaux conduits par Sarah Genon ? « Notre étude me semble importante pour comprendre les croyances des patients Alzheimer sur leur mémoire et pour développer des stratégies neuropsychologiques, indique la collaboratrice du CRC. Dans une perspective élargie, elle sera poursuivie pour déterminer comment les patients Alzheimer forment leurs croyances sur leur mémoire et comment améliorer la conscience qu'ils ont de leur fonctionnement au quotidien. De la sorte, leur prise en charge pourra être améliorée. »

Encore faut-il savoir de quelle manière procéder pour influer sur le jugement que pose le malade sur ses propres capacités mnésiques. La mise en échec pourrait théoriquement être une voie pour lutter contre l'anosognosie et son corollaire, la surestimation dont font preuve de nombreux patients lorsqu'ils évaluent leurs capacités mnésiques (ou autres). « Cette stratégie ne serait pas opportune, car diverses études(3) ont dévoilé que l'échec génère des émotions négatives et que, malgré tout, son expérience ne modifie pas l'anosognosie », relate Sarah Genon.

Elle ajoute que des approches prometteuses pourraient être la stimulation magnétique transcrânienne (TMS) et la stimulation transcrânienne à courant direct (TDCS). En effet, des travaux portant sur des sujets jeunes ont révélé que leurs prédictions sur leurs performances de mémoire peuvent être améliorées par de telles stimulations corticales administrées au niveau des régions préfrontales médianes, mais aussi, selon certaines études, au niveau des régions préfrontales latérales. Pour l'heure, les expériences entreprises se sont limitées à souligner l'existence d'améliorations dans la métacognition sur des périodes de quelques heures.  Peut-on espérer que les effets soient durables ? Mystère. Par ailleurs, on ne dispose aujourd'hui d'aucune donnée relative à l'efficacité de ces stimulations chez le patient Alzheimer. Donc, wait and see.

(2) Souchay, C., Isingrini, M., Gil, M. Alzheimer's disease and feeling-of-knowing in episodic memory. Neuropsychologia 40: 2386-2396, 2002.
(3) Mograbi, D.C., & Morris, R. G. On the relation among mood, apathy, and anosognosia in Alzheimer’s disease. Journal of the International Neuropsychological Society 20: 2-7, 2014.

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