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Matonge, histoire de l’immigration congolaise
12/06/2012

Devenir réfugié

Cafe-MatongePourtant, à partir des années 90, ce qui devait n’être que temporaire devient petit à petit définitif. Un processus d’installation se met en marche. Pas par choix, plutôt par obligation : au Congo (qui s’appelait encore Zaïre à l’époque), la situation économique et politique se détériore. La gestion du président Mobutu pousse le pays vers la crise, les pillages et émeutes militaires de 1991 et 1993 mettent les villes à feu et à sang, sur fond de guerre d’agression par les voisins ougandais et rwandais. Le bilan humain est jusqu’à ce jour objet de grandes polémiques.

Entre 500.000 et un million de Congolais fuient leur terre pour tenter d’obtenir le statut de réfugié politique à l’étranger, dont 20.000 en Belgique. Ceux qui fréquentent désormais Matonge n’ont plus rien des riches mobutistes. Le pouvoir d’achat est en berne, les commerces perdent de leur superbe. Tout comme le reste du quartier.

Une certaine délinquance juvénile émerge, plusieurs « bandes urbaines » font leur apparition. Comme les « New Jack », les « Black Demolition » ou les « Kung Fu ». Les faits divers funestes se succèdent. En février 2001, Fololo, un dealer présumé est abattu par un policier au terme d’une course poursuite, alors qu’il n’était pas armé. L’incident provoque des émeutes dans le quartier. En mars 2002, Patrick, jeune belge d’origine congolaise, est assassiné à coups de couteau dans les galeries d’Ixelles. Ses agresseurs auraient voulu lui voler son GSM. En mai 2002, une fusillade éclate, rue Neuve. Cinq personnes sont blessées. Etc., etc. Amplifié par le prisme médiatique, Matonge apparaît plus que jamais comme le temple de l’insécurité et de la « petite criminalité. » Des actes de violence qui s’exercent d’abord dans l’« entre soi » : les bagarres, les viols, les meurtres parfois (5 décès enregistrés en 2009) sont perpétrés par des Congolais envers d’autres Congolais. Aujourd’hui, on dénombrerait entre 18 et 24 groupes, appelés « bandes urbaines » par les services de police et de prévention au grand dam des acteurs associatifs. .

« Les dites bandes urbaines sont apparues dans le courant des années 90, décrit Sarah Demart. Au début, il s’agissait de petites frappes qui réglaient les comptes de commerçants. Puis leurs cadets s’en sont inspiré et ont formé des groupes hybrides. Ces jeunes se retrouvent à Matonge car ils n’ont pas d’autres lieux, comme des espaces culturels, qui leur permettraient de ne pas errer dans la rue. »

Pour la chercheuse, ces jeunes seraient avant tout « en déshérence », en perte de repères identitaires, mis à l’écart de toute politique d’intégration. Se sentant victimes de discrimination, y compris de la part des forces de police. « Dans une société belge fortement racialisée, il subsiste à l’égard des Congolais un racisme que l’on a du mal à imaginer », affirme-t-elle.      

Discrimination à l’embauche, aussi. Le taux de chômage chez les Congolais est supérieur à celui de toute autre population en Belgique. Un paradoxe : leur niveau d’études supérieures est équivalent, voire plus élevé que celui de la population globale. Les hommes, surtout, ont tendance à multiplier les diplômes. Une revanche postcolonialiste ? « On pourrait effectivement y voir un lien avec l’histoire du pays, explique Sarah Demart. La colonisation belge semblait agir selon le concept "pas d’élite, pas de problème". Il y avait au Congo un très bon enseignement primaire. Mais, aucune élite n’avait été formée. La première université avait été fondée en 1956, soit quatre ans avant l’indépendance. Trop court pour que des étudiants terminent leur cursus. Aujourd’hui, on ne peut que constater que d’élite congolaise a du mal à émerger en Belgique. »

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