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Les écrivains belges de l’entre-deux-guerres
30/05/2012

L’autre apport intéressant est théorique. Il s’agit du concept de génération socio-littéraire, obtenu suite à un correctif opéré sur des classes d’âge arbitrairement établies en fonction de la fréquentation des agents. Ce concept répond à une difficulté propre aux études sociales, la catégorisation la plus fidèle des agents en fonction de leur âge. Il est important d’intégrer des classes d’âge, en ceci qu’elles permettent d’introduire une notion de temporalité dans une coupe synchronique. Pour reprendre l’exemple de l’ouvrage, son objet s’étend de 1918 à 1940, soit 22 ans. Tenir compte des différences d’âge des agents permet donc d’introduire des nuances, des évolutions sociales et esthétiques durant les années étudiées, et donc ne pas saisir l’ensemble de la période comme un bloc uni et homogène dans le temps, ce qui serait une belle erreur. En effet, ces évolutions esquissées par les classes d’âge permettent notamment de remarquer, comme souligner plus haut, l’évolution d’un profil de juriste à celui du petit bourgeois, évolution qui accompagne un autre basculement de positionnement esthétique par rapport à Paris, et déjà remarqué par Jean-Marie Klinkenberg : celui d’une littérature belge centrifuge, mue par l’idée romantique de la littérature comme enfant d’une nation, d’un peuple, qui affirme son indépendance, vers une littérature centripète, qui se calque sur Paris et oscille autour de ce centre névralgique de la production littéraire francophone.

Mais comment définir ces générations d’écrivains ? Comment les classer ? Instinctivement, il est souvent tentant, par défaut, d’établir des classes d’âge en fonction de la date de naissance, et ainsi, créer des décennies dans lesquelles sont placés les agents étudiés. Il est ainsi supposé que chacun des êtres d’une même classe a participé aux mêmes événements au même âge, ce qui est primordial. Un écrivain qui a 5 ans en 1914, par exemple, ne vit pas un événement aussi catastrophique qu’est la Première Guerre mondiale de la même manière qu’un écrivain qui a 20 ans à cette même époque, et qui est susceptible d’être appelé au front.

Pourtant, cette catégorisation biographique et purement arbitraire est bien érodée par certaines limites. Par exemple, certains écrivains précoces auront tendance à côtoyer d’autres écrivains plus âgés et participer à cet égard à une mode ou à des apports esthétiques propres à une génération qui ne leur appartient pas. À l’inverse, des personnes plus expérimentées séduites par la fougue et la nouveauté d’une jeunesse inspirée peuvent fréquenter une classe d’âge qui n’est pas non plus la leur et être influencées par une esthétique qui n’est pas non plus a priori la leur. Pour faire face à ce type de profil tout en tenant compte d’une relative similarité d’investissement à des événements extérieurs propres aux cycles des âges, Björn-Olav Dozo  est donc parti d’une découpe de décennies pour répartir les agents en classes d’âge pour ensuite, suivant les cas de figure, établir un correctif permettant de placer les agents dans une classe plus âgée ou plus jeune en fonction de leurs fréquentations.

Ces deux exemples, l’un d’approfondissement qualitatif du parcours d’animateurs de la vie littéraire, débusqués par une approche statistique, et l’autre d’une attribution au cas par cas d’une situation générationnelle préalablement définie arbitrairement et quantitativement  illustrent parfaitement la démarche et la volonté du chercheur. Le quantitatif, s’il est dans le cas présent le fruit d’un travail immense et rigoureux, est envisagé comme un outil qui n’apprend rien à celui qui n’est pas capable d’observer plus intensément les données fournies. Mais une fois qu’on parvient à sortir de la rigidité des chiffres, à les embrasser dans une réalité à la fois plus large et plus précise, ils permettent de révéler et de systématiser une réalité jusqu’alors parfois insoupçonnée. Tant pour l’étude du cas particulier qu’est le profil socio-littéraire de l’écrivain belge francophone de l’entre-deux guerres que pour l’apport méthodologique, l’ouvrage est en passe de devenir un véritable ouvrage de référence pour tout qui s’intéressera à un champ ou un sous-champ sociologique à un endroit et à une période donnés, qui dépasse de loin la seule problématique de la sociologie de la littérature.

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