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Les écrivains belges de l’entre-deux-guerres
30/05/2012

Choix des variables et établissement du capital relationnel

Une fois le cadre théorique et méthodologique bien établi, la seconde moitié de l’ouvrage se partage principalement en deux grands chapitres. Le premier est consacré aux indicateurs liés au profil des agents, le second s’attarde sur les capitaux de ces agents.

Les indicateurs sont autant de variables qui permettent de catégoriser les auteurs autrement intégrés dans un corpus trop large et trop hétérogène que pour pouvoir être traités statistiquement. Dans un premier temps, après les avoir classés en fonction de leur âge, le chercheur dresse pour chacun des agents les indicateurs sociaux, à savoir les études, les professions, l’origine sociale et l’origine géographique de chacun, avant de les mettre en corrélation. Il dresse ainsi une série de catégories mesurables qu’il peut confronter. Il passe ensuite à la catégorisation des indicateurs littéraires et à leur impact symbolique. Il classe les agents en fonction du genre pratiqué (poésie, roman, contes, essai…), des maisons qui éditent leurs ouvrages (françaises, belges, franco-belges, consacrées ou plus humbles…), des éventuels prix littéraires obtenus, et des lieux de sociabilité fréquentés. Ces lieux, il en distingue plusieurs, à savoir les salons, les groupes, les manifestes, les sociétés littéraires, et enfin, les revues. Un travail titanesque, méticuleux, qui lui permet, après analyse et interprétation, de dégager un grand nombre de profils-types et de relations entre les différents agents, avant de proposer une courte étude qualitative approfondissant l’observation de la position de certains écrivains et justifiant l’intérêt de sa démarche éclairante.

Le dernier chapitre, sur base des mesures et des interprétations portées par l’établissement et l’étude des indicateurs, établit et catégorise les différents capitaux des auteurs en fonction de leur trajectoire sociale et professionnelle. Björn-Olav Dozo traite donc dans un premier temps du capital relationnel, fondé sur l’existence d’une relation avec d’autres agents en fonction de la fréquentation d’un lieu de sociabilité. Il passe ensuite à l’établissement du capital économique, fondé sur la profession et sur l’origine sociale de chacun, peu d’entre eux vivant réellement de leur plume, au capital culturel, qui renvoie, lui, aux études, aux professions et aux hobbies, et enfin au capital symbolique, ou plutôt à la reconnaissance symbolique, qui sera plus ou moins élevée en fonction du genre pratiqué, de l’importance de la maison d’édition qui publie un ouvrage ou des prix littéraires obtenus. La fin du chapitre est consacrée à une corrélation entre ces capitaux, qui permettent d’établir des trajectoires de vie sociale et des profils-types d’écrivains en fonction de ces parcours et de leurs caractéristiques. 

L’ouvrage propose donc l’établissement de plusieurs profils-types d’écrivains en Belgique francophone durant l’entre-deux guerres, met en évidence certaines formes d’autonomie d’un véritable sous-champ (celui de la littérature belge francophone, qui s’inscrit dans un champ plus large qu’est la littérature francophone, mais qui a son propre mode de fonctionnement, ses propres institutions…), dresse des rapports de force évoluant entre la production belge et son indépendance plus ou moins forte envers la France. Il permet enfin de se rendre compte de manière objective de l’importance des réseaux et des relations dans l’établissement des autres capitaux et propose une ouverture future à des études plus qualitatives qui pourront tenir compte de ces acquis.

Deux exemples d’apports intéressants

Parmi les nombreux éclaircissements que propose cet ouvrage, deux d’entre eux méritent encore d’être mentionnés, la figure de l’animateur de la vie littéraire et le concept de génération socio-littéraire.

La première, la figure de l’animateur de la vie littéraire, existait intuitivement dans les consciences. Mais l’étude exhaustive et objective du corpus a permisecrivain de la mettre en lumière et surtout de souligner sa mécanique et son importance dans le réseau littéraire. Il s’agit de personnes, écrivains plus ou moins reconnus, qui par leur appartenance à de nombreux lieux de sociabilités, sont au centre des relations. Ils sont autant de ponts entre des personnes ou des groupes qui, sans leur présence, resteraient imperméables l’un à l’autre. Ils autorisent les rencontres, les synergies nouvelles et la cristallisation, la connexion du réseau littéraire. « On se doutait bien qu’il existait des gens qui avaient joué un rôle important dans la vie littéraire, relativise le chercheur. Mais on n’avait jamais réussi à objectiver leur positionnement, à les repérer. L’analyse des réseaux a été une magnifique opportunité pour cerner ces profils. »

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