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Dauphins, baleines et pollution humaine

13/02/2017

Les dauphins du parc national des Everglades moins impactés par les polluants organiques que leurs congénères des côtes sud de Floride. Mais beaucoup plus contaminés par le mercure !

Le parc national des Everglades, inscrit au patrimoine mondial de l'UNESCO en 1979, est également classé zone humide d'importance internationale depuis 1987. Il abrite un grand nombre d’espèces parmi lesquelles le grand dauphin, Tursiops truncatus (Flipper !). Ce mammifère occupe une position élevée dans les réseaux trophiques, c’est un top-prédateur ! Par conséquent, il accumule malheureusement dans ses tissus des concentrations élevées en polluants toxiques (e.g. mercure et polluants organiques persistants – POPs- comme par exemple les PCBs). Qu’en est-il des dauphins de  Floride ? 

Dauphins baleines POP

Cette question a fait l’objet d’un recherche internationale à laquelle collabore plusieurs chercheurs de l’Université de Liège, parmi lesquels Krishna Das, Maître de Recherche au F.R.S-FNRS (Laboratoire d’Océanologie de l’Université de Liège). Ces résultats viennent d’être publiés dans la revue Environmental Pollution (1) en collaboration avec notamment, la Florida International UniversityPr. J. Kiszka) et l’Université de Groningen (Pr. M. Fontaine). Le premier auteur de l’article est France Damseaux, aspirante FNRS au sein du Laboratoire d’Océanologie, qui avait réalisé un mémoire de master en biologie sur le sujet. Cette recherchevisait à déterminer les concentrations en mercure total (T-Hg) et en certains polluants organiques chez les grands dauphins du sud de la Floride. Des biopsies de peau et de lard ont été réalisées chez des dauphins du parc national des Everglades et à Key West (dans les Keys - petites îles au sud de la Floride) afin de comprendre l’influence de leur habitat sur leurs niveaux et leurs profils de contamination. 

Comme on pouvait s’y attendre, les dauphins échantillonnés au large des Keys présentent des concentrations en PCBs trois à quatre fois supérieures aux dauphins échantillonnés dans le parc national des Everglades. L’impact de la pollution sur l’environnement des Keys n’est pas à négliger. En effet, l’activité industrielle, la pollution atmosphérique, le tourisme etc. y sont fortement présents. Bonne nouvelle quand même, ces concentrations sont néanmoins inférieures à celles quantifiées chez d’autres populations de grands dauphins dans le sud-est des Etats-Unis, plus proches de grands centres industriels. Rappelons que diverses mesures d'assainissement ont également été mises en œuvre en 2000 afin de protéger les écosystèmes des Everglades et des Keys.

Cependant, contrairement aux polluants organiques, les concentrations en mercure total dans la peau étaient plus de trois fois supérieures chez les dauphins des Everglades par rapport aux dauphins des Keys. A notre connaissance, ces concentrations sont parmi les plus élevées jamais enregistrées chez les grands dauphins, et peuvent s'expliquer par la biogéochimie des mangroves des Everglades et la contamination historique de ce site maintenant protégé (la mangrove contient beaucoup de matière organique dont les bactéries absorbent et retiennent le mercure qui est, notamment, rejeté par les centrales à charbon).

Les baleines à bosse des eaux chaudes de l’Océan Indien révèlent la pollution de … l’Antarctique ! 

Les baleines à bosse sont de très grandes voyageuses ! Elles peuvent être aperçues dans toutes les mers du globe en ce compris l’Océan Indien. Elles profitent des eaux chaudes de l’île de la Réunion entre les mois de juin et de novembre dans lesquelles elles viennent mettre bas et allaiter leur petit. Le reste de l’année, les baleines sont présentes au large de l’Antarctique à plus de 8000 km de l’île de la Réunion ! C’est dans ces eaux froides que les baleines vont se nourrir, majoritairement de krill, une petite espèce de crustacé très appréciée de ces grands mammifères ! Krishna Das en collaboration avec notamment le Groupe Local d'Observation et d'Identification des Cétacés (GLOBICE, Dr. V. Dulau) et le Toxicological Centre de l’université d’Anvers (Pr. A. Covaci) se sont intéressés à l’exposition aux polluants des baleines à bosse échantillonnées autour de l’île de la Réunion (2).  

Biopsie baleines bosse

Comme les baleines à bosse se nourrissent majoritairement dans les eaux australes (et pas dans l’Océan Indien), elles accumulent dans leurs tissus les polluants présents en Antarctique. Et oui, malgré le fait que l’Antarctique soit éloigné des activités humaines, on peut tout de même détecter chez de nombreuses espèces marines des polluants industriels et des pesticides produits et utilisés à plusieurs milliers de kilomètres de là. 

Et les baleines à bosse de l’Océan Indien ne sont malheureusement pas épargnées ! Les chercheurs ont retrouvé dans leur lard des concentrations détectables de pesticides, mais également des molécules à usage industriels (polychlorobiphényles, PCBs) et des retardateurs de flamme (polybromodiphényléthers, PBDEs), utilisés pour leur propriété ignifuge! L’utilisation de ces polluants est interdite mais ces molécules organiques comme sont très résistantes, ne se dégradent pas et s’accumulent dans les organismes vivants. 

Les baleines à bosse de l’Océan Indien sont toutefois moins contaminées que leurs congénères de l’hémisphère nord car elles consomment majoritairement du krill et occupent par conséquent une position plus basse dans le réseau trophique (les baleines du nord mangent aussi du poisson !)En outre, les baleines à bosse de l’hémisphère sud, sont plus éloignées des activités humaines majoritairement localisées dans l’hémisphère nord. 

Autre fait intéressant : la variabilité des concentrations en polluants chez les baleines de l’hémisphère sud. En comparant les résultats avec plusieurs études précédentes, les chercheurs se sont aperçus que malgré une contamination plus faible des écosystèmes antarctiques, certaines baleines pouvaient présenter des niveaux relativement élevés. Les raisons sont multiples : âge, sexe, régime alimentaire, redistribution des polluants organiques lors de leur migration et lors de la mise-bas et de l’allaitement. Les baleines à bosse de l’hémisphère sud ne se nourrissent pas ou peu durant leur séjour à l’île de la Réunion et leurs trajets aller et retour. Un vrai défi physiologique et un modèle toxicologique assez unique ! 

(1) Spatial variation in the accumulation of POPs and mercury in bottlenose dolphins of the Lower Florida Keys and the coastal Everglades (South Florida), Damseaux F. et al. Environmental Pollution, Jan. 2017.

(2) Linking pollutant exposure of humpback whales breeding in the Indian Ocean to their feeding habits and feeding areas off Antarctica, Das K. et al. Environmental Pollution, Jan. 2017. 


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