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Le juge est une femme
2/3/17

Au vu de la pression qui pèse sur elles, les premières magistrates limitent leur envie de famille pour mener une carrière. « Les pionnières devaient être aussi bonnes mères, épouses, femmes que magistrates. Elles ont connu des carrières fulgurantes, sont arrivées aux plus hauts postes de la magistrature, et à côté de ça, leur mari ne levait pas un pouce à la maison, ni pour les enfants ni pour le ménage. C’est de leur salaire à elles que sortait l’argent pour les gardiennes et les femmes de ménage, qui venaient combler le manque. Ces pionnières ont dû se battre pour bosser, malgré les réticences de leur mari. » raconte Adeline Cornet.

A l’instar des pionnières, malgré leur carrière élevée, ce sont donc les magistrates qui restent majoritairement responsables de la gestion quotidienne de leur famille et de leur ménage. Six femmes sur 49 seulement estiment que leur mari est coopérant et que la répartition des tâches est égalitaire. Toutes s’accordent pour dire que sans les aides ménagères, elles n’auraient jamais réussi à faire carrière. 

Les grandes absentes de la hiérarchie

Malgré la persistance de certains stéréotypes et réactions misogynes ou sexistes, les femmes sont aujourd’hui numériquement aussi présentes que les hommes et ne rencontrent plus de freins formels pour accéder à la magistrature grâce au système de recrutement par examens. Pourtant, toutes les difficultés ne sont pas levées pour autant. Derrière cette égalité de façade, persistent certains déséquilibres. 

Si l’on croise le niveau de pouvoir dans la magistrature et les différences qui existent entre les différentes fonctions de la magistrature, il apparaît quatre grandes fonctions dont les femmes sont absentes : le Parquet général, le Parquet fédéral, la Cour de Cassation et le Parquet près la Cour de Cassation (trois femmes seulement au cours de l’histoire de la Belgique !). Les magistrates n’occupent donc pas les postes hiérarchiquement élevés ni les postes les plus visibles et les plus en contact avec le terrain c’est-à-dire les postes de chefs de corps et du parquet, en lien direct avec la police et les délinquants. Bien que présentes dans toutes les fonctions de la magistrature, elles restent également plus nombreuses dans les matières en lien avec le droit de lajeunesse et le droit du travail

Un plafond de verre

Cette absence des femmes aux postes les plus élevés de la hiérarchie ne peut pas s’expliquer par une nécessité de « laisser faire le temps ». Septante années se sont écoulées depuis leur accession à la magistrature. 

Effet de la pression démographique, le nombre global de magistrats augmente d’années en années ; le nombre d’homme diminue et des femmes compensent ces départs, tout en prenant également les nouveaux postes. Pourtant, dans les quatre postes cités ci-dessus, le nombre d’hommes augmente malgré tout. 

Cette situation, Adeline Cornet l’explique par la présence d’un plafond de verre : « Ce plafond trouve son origine dans des obstacles et freins variés, souvent cumulatifs, liés à la fois à la sphère privée et à la sphère professionnelle. Prenons pour exemple la moindre disponibilité professionnelle des femmes et leur moindre présence dans les réseaux relationnels, liées à leurs responsabilités familiales, elles-mêmes nées d’une dissymétrie sexuée au niveau de leur couple et non considérée dans le milieu professionnel. »  

De leur côté, peu de magistrates semblent conscientes de ces disparités. Nombre d’entre elles attribuent leur réussite professionnelle au hasard et à la chance, bien plus qu’à leurs compétences et à leur travail. Leurs discours témoignent d’une forme de fatalisme, héritage de leur éducation et de l’écosystème dans lequel elles ont grandi. Le phénomène n’est d’ailleurs pas propre à la magistrature. Université, haut management, entreprenariat… sont autant de milieux dans lesquels on observe des comportements similaires.

Leur pouvoir ? Une marge d’interprétation

Femmes d’autorité par profession, les magistrates font pourtant preuve d’une relation distanciée par rapport au pouvoir. « N’importe quelle personne qui imagine un juge l’assimile à une fonction de pouvoir. Pourtant, les magistrates ne considèrent pas qu’elles exercent un pouvoir, mais simplement qu’elles font leur boulot » explique Adeline Cornet. Pour les magistrates, le mot “pouvoir” peut sembler vulgaire et désigner quelque chose d’arbitraire. Tout au plus admettent-elles avoir une marge d’interprétation »

En réalité, les magistrates inscrivent le pouvoir dont elles bénéficient dans leur profession comme étant un instrument de leur fonction, dont la fin est de rendre la justice. C’est seulement dans ce cadre - au service d’une mission de l’Etat, et dans le respect strict des règles et lois – qu’elles admettent disposer peut-être d’une marge d’interprétation. L’analyse de leur discours révèlent qu’elles en usent suivant deux tendances : soit pour venir en aide à un justiciable, soit pour réparer un dommage à la société en punissant un délinquant. Ces deux postures rencontrent les deux rôles de la justice : rappeler les lois et normes en vigueur dans une société et punir les contrevenants. 

Pour Adeline Cornet, il n’est pas étonnant que les femmes se positionnent de cette manière face au pouvoir, attribut typiquement et historiquement masculin. L’homme représente la force physique mais aussi la force symbolique. « On a toujours parlé de l’instituteur du village, le juge du village, le notaire du village… Les femmes ne sont pas éduquées à être légitimes dans les positions de pouvoir. De ce fait elles sont donc mal à l’aise à l’idée d’avoir du pouvoir gratuit. Par contre, utiliser le pouvoir au profit d’une communauté leur apparait légitime ».

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