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Rendez-vous avec Vénus
14/05/2012

• Le Gentil
Mais le plus malheureux des trois compères, et même le plus malheureux de tous les astronomes du XVIIIe siècle, s’appelle Guillaume Joseph Hyacinthe Jean Baptiste Le Gentil de la Galaisière : lui n’est pas abbé, même s’il a failli entrer dans les ordres. Il quitte la France tôt, le 26 mars 1760, car il s’est porté volontaire pour partir très loin, à Pondichéry en Inde ! Sûr de son fait, il déclare avant de partir qu’il n’y a que la France qui mette sur pied « les plus grandes entreprises qui concourent si fort au progrès des Sciences les plus utiles, l’Astronomie, la Géographie, et la Navigation ».


La première partie de son voyage se déroule sous les meilleurs auspices ; tout au plus a-t-on à déplorer un suicide à bord et une courte poursuite par l’ennemi britannique. Le 10 juillet 1760, Le Gentil arrive sans encombre à l’île de France. Hélas, il apprend là-bas que Pondichéry est assiégé par les Anglais, que les comptoirs voisins sont déjà aux mains de l’ennemi – et que la France ne semble guère pressée de les libérer. Quelques mois plus tard, une flotte française se prépare enfin en île de France pour aller porter secours aux assiégés… mais elle subit des dommages irréparables lors de la tempête qui ravage l’île le 27 janvier 1761. Le Gentil doit prendre son mal en patience. Il songe à rejoindre Batavia (aujourd’hui Djakarta), mais son voyage est annulé (probablement à cause de la dysenterie dont il souffrait à l’époque). En désespoir de cause, il pense alors à l’île Rodrigue, sans savoir que Pingré s’y rend aussi. Pérégrinations-Le-GentilMais au mois de mars, l’espoir renaît : une flotte de renfort s’apprête à rejoindre le comptoir indien tant convoité. Le Gentil embarque, mais la météo désastreuse (c’était la mousson) retarde le convoi ; et à peine la destination est-elle en vue que le bateau fait demi tour : Pondichéry vient de tomber aux mains de l’ennemi, et les renforts ne veulent pas risquer leur peau. Le Gentil tempête, exige qu’on le débarque n’importe où, en territoire ennemi s’il le faut, mais le capitaine refuse et trouve même cette insistance suspecte. Pourtant, Le Gentil assistera au transit… sous un ciel absolument radieux, depuis le pont de son bateau, ballotté au gré des vagues et au milieu de nulle part : ses observations seront dénuées de toute valeur scientifique. Rentré en île de France, il est si honteux de son échec qu’il décide de rester sur place jusqu’au prochain transit. Après tout, huit ans, ce n’est pas si long pour terminer un travail d’intérêt mondial…

3.2. De loyaux sujets de Sa Majesté

Les astronomes britanniques avaient eu vent des corrections apportées par les Français aux tables de Halley, mais c’est seulement en juin 1760 que la présentation de la mappemonde de Delisle précipite leurs préparatifs. La Société Royale décide d’envoyer des émissaires à l’île de Sainte Hélène et à Bencoolen (côte de Sumatra) ou à Batavia. Mais si l’île de Sainte Hélène est desservie par des lignes régulières, les destinations plus lointaines sont problématiques. En prenant conseil auprès de la Compagnie Hollandaise des Indes Orientales, les Anglais apprennent qu’il est trop tard pour envisager un voyage à Bencoolen avec les bateaux hollandais… mais ils maintiennent cependant cette destination comme objectif principal.


En plus d’un moyen de transport pour effectuer le voyage, il faut aussi trouver des instruments adéquats : à l’époque, un bon instrument coûtait la moitié du salaire annuel de Delisle, soit trois fois plus que celui de son assistant, le célèbre Charles Messier. Les Anglais possédaient peu de ces télescopes ; les transits seront l’occasion d’introduire des techniques de production de masse d’instruments optiques en Angleterre. Il fallait donc trouver de l’argent, beaucoup d’argent. La Société tente alors de jouer sur la fibre patriotique : comment, le seul observateur au monde de ce phénomène, ainsi que le savant qui est à l’origine de cette grande aventure scientifique, sont tous deux Anglais, et la Couronne n’organiserait rien, alors que toutes les Cours du monde, et en particulier les « froggies » voisins, multiplient leurs efforts ? Apparemment, ce genre de discours est efficace : la Société décroche d’importants subsides pour organiser les expéditions britanniques.


Le premier aventurier est vite trouvé : l’astronome royal lui-même, Nevil Maskelyne,  partira pour Sainte Hélène. Il en profitera pour tenter de mesurer la parallaxe annuelle (5) de l’étoile Sirius. Au départ, Charles Mason doit l’accompagner, mais celui-ci est finalement remplacé par Robert Waddington, et envoyé à Bencoolen avec un astronome amateur du nom de Jeremiah Dixon. Le 23 octobre 1760, nos deux compères signent leur contrat, tout en sachant que le retour au bercail ne sera pas direct, mais se fera via la Chine ou l’Inde. En décembre de la même année, ils embarquent à Portsmouth. À trente-quatre lieues à peine du port, leur embarcation rencontre un navire ennemi. Il s’ensuit une bataille violente, mais courte : après une heure de combats, les deux équipages déclarent forfait. Le navire anglais revient au port avec onze morts et 37 blessés (la plupart mortellement), et des dommages mineurs aux instruments astronomiques.

(5) Il s’agit du déplacement apparent d’une étoile proche par rapport aux étoiles lointaines au cours de l’année.

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