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Rendez-vous avec Vénus
14/05/2012

Le martyre prend fin le 6 septembre 1761, le jour où réapparaît le navire français Le Volant chargé de faire de nouveau le plein de tortues ; et le 12 septembre, Pingré retrouve son collègue Le Gentil à l’île de France. Il en repart environ un mois plus tard, et entreprend une étude de l’île Bourbon (l’actuelle île de La Réunion) pendant deux mois supplémentaires.  Enfin, son travail achevé, Pingré tente de regagner la France. Mais le 11 février 1762, un navire anglais les arraisonne ; Pingré et ses compagnons sont de nouveau faits prisonniers. Cette fois, le laissez-passer britannique assurera néanmoins à l’astronome un traitement de faveur. Pingré se lie d’amitié avec le médecin de bord anglais, avec qui il partagera le réconfort d’un certain désinfectant médical… Arrivé à Lisbonne le 23 février, Pingré voit sa « collection naturelle » (plantes et animaux destinés à Buffon) pillée par les Anglais. Il parvient de justesse à sauver ses instruments astronomiques. Dégoûté de la mer, il continue son voyage par voie de Terre et rentre en France « un an, trois mois, dix-huit jours, dix-neuf heures et cinquante-trois minutes » après l’avoir quittée.

• Chappe
L’abbé Jean-Baptiste Chappe d’Auteroche, qui avait participé à la correction des tables de Halley avec Delisle, se voit assigner un nouvel objectif : observer le transit de Vénus depuis Tobolsk, en Sibérie. Son voyage doit l’emmener tout d’abord à Saint-Pétersbourg, mais il rate le départ du bateau hollandais qui devait l’y conduire – somme toute une bonne chose car le navire en question s’échouera peu après sur les côtes de Suède. Fin novembre 1760, pratiquement au même moment que Pingré, il quitte Paris pour Strasbourg, première étape de son voyage. Si cela nous semble aujourd’hui une promenade de routine, ce n’était pas du tout le cas à l’époque. En calèche, sous la pluie diluvienne et sur les routes défoncées du Royaume de France, Chappe mettra huit jours pour effectuer le voyage. À l’arrivée, tous ses thermomètres et tous ses baromètres sont cassés ! L’évêque de Strasbourg fait heureusement remplacer tout le matériel, et demande même à son meilleur horloger de réparer les montres déréglées de Chappe.


Échaudé par ces débuts catastrophiques, Chappe renonce à rejoindre Saint-Pétersbourg par la route. Il se rend à Ulm, où il embarque sur le Danube. Ce moyen de transport, lent mais plus sûr pour les instruments, permet à l’abbé d’entreprendre une étude détaillée du fleuve : il établit des cartes précises des abords du Danube, et il profite des jours d’arrêt pour escalader les montagnes avoisinantes et en mesurer la hauteur à l’aide d’un baromètre. Il arrive ainsi le 31 décembre à Vienne, qu’il quitte huit jours plus tard pour rejoindre Saint-Pétersbourg en passant par Cracovie et Varsovie. Le voyage se passe sans grand incident : à la joie de l’astronome, les montures sont remplacées le 7 février par des traîneaux, moyen de transport rapide et sûr. Chappe arrive à Saint-Pétersbourg à la mi-février. Il y est reçu comme un prince, mais il apprend que l’Académie Impériale, qui craignait qu’il n’arrive pas à temps, a déjà envoyé ses propres émissaires, mais pas aux confins de la Sibérie. Malgré les pressions, Chappe maintient sa destination initiale ; accompagné d’un horloger, il quitte Saint-Pétersbourg le 10 mars 1761 avec tous ses instruments, à bord de quatre traîneaux tirés chacun par cinq chevaux. Cet équipage se déplace le plus vite possible : il faut en effet battre de vitesse le dégel qui pourrait leur barrer les routes. En quatre jours seulement, ils sont à Moscou, où ils changent de traîneaux. Ils repartent le 17 mars et arrivent à Tobolsk moins d’un mois plus tard.

Chappe
Dès son arrivée, Chappe entame la construction d’un observatoire, qui sera achevée le 11 mai 1761. Le 18 mai, il observe une éclipse de Lune et le 3 juin, une éclipse de Soleil : grâce à celles-ci, il peut déterminer avec précision la longitude (4) de son observatoire. Mais il travaille le jour et une partie de la nuit, scrutant le ciel sans relâche : lorsque le dégel provoque la crue du cours d’eau local, causant la désolation en ville, c’est vers lui que se tournent les regards soupçonneux, lui, l’étranger qui interfère avec la bonne marche céleste. Pour éviter l’émeute, ou pire, le meurtre de l’astronome, la garde est doublée… Chappe continue donc ses travaux dans un climat relativement calme, mais peu amical.

Le jour du transit, le 6 juin, sous un ciel radieux, il installe un deuxième télescope à côté du sien, pour que les notables de Tobolsk puissent observer eux aussi le phénomène : une récompense pour leur aide, mais aussi un gage de tranquillité, puisqu’ils le laisseront ainsi observer en toute quiétude. Chappe envoie ses résultats dès le lendemain à l’Académie, mais il reste encore trois mois sur place : non seulement pour mieux connaître encore ses coordonnées géographiques, mais aussi pour étudier la géologie, la météorologie et les coutumes de l’endroit. À son retour, il décrira l’esclavage et l’arriération de la société russe dans un pamphlet qui fera l’effet d’une bombe en Europe.

(4) Pour connaître la longitude d’un lieu, il suffit de mesurer l’instant d’un événement bien connu (éclipse de Lune, de Soleil, ou des satellites de Jupiter). La comparaison de cette mesure avec l’instant auquel se produit le même événement au méridien de référence (Greenwich par exemple) donne directement la longitude du lieu

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