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Rendez-vous avec Vénus
14/05/2012

Par Yaël Nazé, astrophysicienne, chercheur qualifié FNRS, Département d'astrophysique, géophysique et océanographie de l'Université de Liège

Amoureux du ciel, soyez prêts : vous avez rendez-vous avec la déesse de l’Amour. Le 6 juin 2012, s'est produit en effet un événement rarissime : le passage de la planète Vénus devant le Soleil. Avant le passage de 2004, seuls cinq de ces « transits » ont été observés par les astronomes, et ils ont donné lieu à l’une des plus grandes batailles scientifiques de tous les temps… une histoire pleine de rebondissements ! Il ne fallait pas rater l'occasion d'observer le phénomène: il ne se reproduira plus avant l'an... 2117!

1. La planète aimée

venusAvec une taille similaire à celle de notre bonne vieille Terre (sa montagne la plus élevée, le Mont Maxwell, dépasse de peu l’Everest avec ses 11 km de hauteur), Vénus semble une planète-soeur, une amie céleste qui nous guide dans les cieux. Après le Soleil et la Lune, « l’étoile du berger » est en effet l’astre le plus brillant du ciel. Mais Vénus est pourtant pudique, car elle se cache sous le voile impénétrable d’épais nuages. Cette atmosphère dense scelle le sort de notre soeur, l’éloignant inexorablement du paradis tropical qu’elle aurait pu être et la transformant en un enfer sans nom : à la surface de la planète, on ne voit jamais le Soleil, l’air est surchauffé à l’extrême (480° C), et la pression est énorme (elle atteint cent fois la pression atmosphérique terrestre, soit la pression qu’un sous-marin subirait à mille mètres de profondeur !). À 45 km d’altitude, il fait plus frais, mais les nuages sont tiraillés par des vents dont la vitesse dépasse 300 km/h… et des gouttelettes d’acide sulfurique se baladent dans ces couches atmosphériques en perpétuel mouvement. Peu de missions terrestres ont réussi à vaincre cet enfer, et encore n’ont-elles fonctionné que quelques heures à peine ! Cependant, notre soeur éplorée est une alliée précieuse de l’Astronomie, car elle nous a permis de réussir un exploit : la quête de la taille réelle du Système solaire.

2. Le Soleil a rendez-vous avec l’Amour

Cette réussite repose sur le phénomène naturel de « transit » – l’éclipse partielle du Soleil par un astre. Depuis la Terre, cela n’est possible que pour Mercure et Vénus, les deux seules planètes intérieures – c’est-à-dire plus proches du Soleil que notre planète. Évidemment, un transit ne se produira que si le Soleil, la planète et la Terre sont parfaitement alignées. Cela n’arrive pas souvent, car chaque planète tourne à son rythme autour du Soleil : il faut à Vénus 224,7 jours pour parcourir complètement son orbite, tandis que la Terre a besoin de 365,3 jours pour ce faire. En tenant compte de ces différences, on montre que Vénus, la Terre et le Soleil se retrouvent dans la même configuration tous les 584 jours (environ 19 mois et demi) : c’est ce que l’on appelle la période synodique.

Keplerorbite-venus-terreCependant, il n’y a pas de transit tous les 584 jours, car Vénus et la Terre n’effectuent pas leur course céleste dans un même plan ! Comme les transits nécessitent un alignement pratiquement parfait du système Terre-Vénus-Soleil, ils ne peuvent se produire qu’en deux points précis de l’orbite vénusienne : les noeuds, intersections de l’orbite de Vénus avec le plan de l’orbite terrestre. Ces conditions extrêmement restrictives (il faut que Vénus soit en l’un de ces noeuds, et en même temps parfaitement alignée avec le Soleil et la Terre) expliquent la rareté du phénomène. Les transits se produisent en fait en juin ou en décembre suivant un cycle (1) précis de 8 ans, 105 ans et demi, 8 ans, 121 ans et demi.

Vénus est très petite comparée à notre astre du jour : son diamètre angulaire lors des transits n’atteint qu’un trentième de celui du disque solaire ! On comprend mieux pourquoi ces transits ont été découverts… théoriquement (2) ! Bien que Ptolémée en ait mentionné la possibilité, c’est à Johannes Kepler qu’il faut remettre la couronne de lauriers. Dès 1607, Kepler pense déjà à la probable existence des transits. Il observe même une tache ronde sur le Soleil, et est sincèrement persuadé qu’il s’agit de Mercure en train de transiter – un peu à l’avance par rapport à ses prévisions. Il ne s’agissait en fait que d’une tache solaire, mais Kepler persiste dans son étude de ces éclipses particulières. En 1629, il prédit un transit de Mercure pour le 7 novembre 1631 et un transit de Vénus pour le 6 décembre de la même année. Il découvre également une période de récurrence d’environ 120 ans pour les transits vénusiens.

(1) Supposons qu’il se produise un transit à l’instant t. Pour en avoir un autre, il faut qu’un nombre entier d’années vénusiennes correspondent à un nombre entier d’années terrestres. Par exemple, 13 années vénusiennes, soit 2921,1 jours, équivalent presque à 8 années terrestres, soit 2922 jours ; de même, 395 années vénusiennes (88756,9 jours) correspondent à 243 années terrestres (88757,2 jours). Mais il ne faut pas oublier qu’il y a deux noeuds, situés en des points opposés de l’orbite, à une demi-année d’intervalle. Il faut donc refaire le calcul en utilisant cette fois des nombres entiers plus une demi unité. On trouve alors que 184 années vénusiennes et demi (41457,3 jours) égalent 113 années terrestres et demi (41456,6 jours), et que 197 années vénusiennes et demi (44378,4 jours) correspondent à 121 années terrestres et demi (44378,6 jours). Ceci n’est qu’une approximation : dans la pratique, il faut tenir compte du fait que les orbites des planètes sont elliptiques, et que la ligne des nœuds se déplace avec le temps.

(2) Bien que certains prétendent que des anciens, les Assyriens, les Mayas, voire le grand Avicenne, auraient observé des taches solaires qui n’étaient autres que Vénus ou Mercure… une interprétation encore fort contestée.

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