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Une super-Terre mise en lumière

05/10/2012

Un groupe de recherche international, à l’initiative de Michaël Gillon, astrophysicien liégeois, a observé pour la première fois l’émission thermique d’une super-Terre. Une nouvelle qui ouvre la voie à une étude plus approfondie des exoplanètes de petite taille.

Depuis 1995 et grâce aux apports conjoints d’une multitude d’équipes du monde entier, dont les yeux sont une série de télescopes puissants, les exoplanètes se dévoilent sans cesse et se comptent maintenant par centaines. Au fur et à mesure que les technologies se développent, le nombre de découvertes ne cesse de croître. Après les géantes gazeuses, les planètes telluriques commencent à sortir de leur cachette. Et aujourd’hui, on peut affirmer que la majorité des étoiles de notre galaxie ont leur propre système planétaire. Et pourtant, la curiosité des chercheurs est loin d’être rassasiée. En effet, il ne suffit pas de détecter une exoplanète pour en percer tous les secrets. Il faut ensuite la caractériser en détail, tâche extrêmement ardue avec la technologie actuelle.

Mais les astrophysiciens avancent étape par étape en affinant leurs méthodes. Et voici qu’une découverte ouvre une nouvelle ère, celle de la caractérisation des exoplanètes comparable à la Terre. A l’initiative de Michaël Gillon, astrophysicien et chercheur qualifié du F.R.S-FNRS (laboratoire d'Astrophysique et Traitement de l'Image de l'Université de Liège), une équipe internationale de chercheurs vient en effet de détecter l’émission lumineuse de 55 Cancri e, une “super-Terre” plus grande que notre planète, mais comparable en plusieurs points (1).

55 Cancri e

Cancri-e-VisibleInfrarouge

Grâce à des observations antérieures de la vitesse radiale de l’étoile et du transit de la planète, il a été établi que 55 Cancri e a un rayon deux fois supérieur à celui de la Terre (Fig. 1) pour une masse huit fois plus élevée. Ce qui a permis aux astrophysiciens de se faire une idée approximative de sa densité et donc de sa composition la plus probable. « 55 Cancri e, développe Michaël Gillon, serait un objet composé majoritairement de roche, avec des composés plus volatils. Hypothétiquement, nous pensons à une couche externe de glace d’eau à l’état supercritique, étant données la très haute température et la pression immense due à la gravité. On pourrait y trouver d’autres composés volatils comme du méthane, par exemple. Le seul endroit où il y aurait de l’eau à l’état gazeux serait la surface, formant une atmosphère secondaire entourant la planète. Le mélange entre roche et glace donnerait un objet comparable à ce que nous pensons être les cœurs de Neptune et Uranus, sans leur enveloppe gazeuse principalement composée d’hydrogène et d’hélium. »

Ce qui ne signifie pas que cette couche de glace soit blanche et comparable à celle que l’on trouve dans notre congélateur. En réalité, la surface de la planète, en regard de sa faculté à emmagasiner la chaleur de l’irradiation de son étoile, serait plutôt très foncée. Cette particularité pourrait être due à la très haute température qui altère la composition de l’atmosphère.

55 Cancri e pourrait être une planète à l’origine similaire à Neptune, formée très loin de son étoile et qui s’en serait rapprochée fortement par la suite. L’intense irradiation de son étoile aurait alors conduit à l’évaporation rapide de son atmosphère originelle de faible densité, ne laissant plus qu’un coeur de roche et de glace. La couche externe de la planète, riche en composés volatils, serait elle aussi en train de s’évaporer lentement, ce qui ne devrait laisser, dans quelques milliards d’années, qu’un coeur de roche de plusieurs masses terrestres, à l’instar de CoRoT-7, une autre super-Terre. Ce scénario ne reste néanmoins qu’une hypothèse, 55 Cancri e pouvant avoir une origine et une nature différentes. D’après certains modèles, elle pourrait même être une planète solide dépourvue d’atmosphère.

Dans un premier temps, observer le transit de la planète

55 Cancri e est une exoplanète qui a été découverte en 2005, par des télescopes au sol, grâce à la méthode dite des vitesses radiales (lire Des astrophysiciens liégeois au septième ciel). Elle orbite autour de l’étoile 55 Cancri, située “seulement” à 40 années lumières et visible à l’oeil nu dans la constellation du Cancer. Cela fait d’elle une des exoplanètes les plus proches de notre système solaire.

telescopeSptizer

Une première estimation supposait une période orbitale de plus de deux jours (à comparer avec les plus de 365 jours que notre planète prend pour faire le tour complet du soleil). Or, en 2009, une nouvelle analyse a réduit cette période à moins d’un jour ! « Elle est donc pratiquement collée à son étoile, illustre Michaël Gillon. Et cette réévaluation de l’orbite augmentait grandement les chances que la planète transite son étoile, c'est-à-dire qu’elle l’éclipse à chaque passage entre elle et la Terre (une telle configuration rend possible toute une série de mesures complémentaires de la planète, Ndlr). La probabilité d’un alignement favorable de l’orbite passait d’approximativement 7 à 25%. En effet, plus une planète est proche de son étoile et plus les chances qu’elle la cache partiellement à chaque orbite sont élevées.”

Au moment où cette correction de la période orbitale venait d'être connue, Michaël Gillon, associé à des chercheurs du MIT de Boston, mène un programme de recherche d’exoplanètes en transit à l’aide du télescope spatial Spitzer de la NASA. « Nous avons donc décidé de pointer le télescope sur l’étoile 55 Cancri, et nous avons détecté le transit, ce qui fut une belle surprise, se réjouit le chercheur, car cela nous a permis de mesurer la taille de la planète et de contraindre sa structure. Ce transit a également été détecté par le télescope spatial canadien MOST. Puisque la planète a une orbite pratiquement circulaire et qu’elle passe  entre la Terre et son étoile toutes les ~18h, elle doit donc également être éclipsée par son étoile avec la même fréquence, à chaque fois qu’elle passe derrière. Connaissant sa taille et son degrée d’irradiation, nous en avons déduit qu’il était possible de détecter son émission thermique. Nous avons donc directement lancé ce nouveau projet d’étude, dans la continuité de la découverte du transit. »

La détection de l’émission de 55 Cancri e

Dans le cas présent, la planète est tellement proche de son étoile qu’il est impossible d’en obtenir une image avec les technologies actuelles. En effet, sa lumière est noyée par celle de son étoile. Néanmoins, le fait qu’elle soit cachée par son étoile une fois par orbite, rend possible la détection indirecte de son émission lumineuse, par la mesure précise du flux combiné de l’étoile et de la planète (photométrie). En effet, en suivant l’évolution photométrique du système, on peut en théorie mesurer une baisse du flux enregistré par le détecteur lorsque la planète est cachée par l’étoile, c’est-à-dire lorsque son émission est occultée. Cette baisse de flux correspond à la contribution de la planète, et sa détection donne donc accès à la mesure de l’émission lumineuse de la planète.

transitvisibleinfrarouge

« Le contraste attendu entre la planète et l’étoile est minuscule dans le spectre visible, de l’ordre de 1 millionième, ce qui est indétectable par nos instruments actuels. C’est pourquoi nous avons effectué notre mesure dans l’infrarouge, là où le contraste est nettement plus favorable, de l’ordre du centième de %. Plus concrètement, nous avons effectué notre mesure à 4,5 microns (la lumière visible par l’œil humain couvrant la gamme de 0,4 à 0,7 micron, Ndlr). A cette longueur d’onde, l’émission de la planète est dominée par son émission thermique propre et non par la lumière stellaire qu’elle réfléchit.»

Cette mesure reste une prouesse de précision exceptionnelle, qui aura nécessité l’observation de quatre occultations de la planète par le télescope spatial infrarouge le plus performant. La faiblesse du signal détecté illustre bien qu’une telle mesure serait pour le moment inobservable sur une autre planète de petite taille ne présentant pas des conditions aussi favorables que celles rencontrées dans le cas présent. « Imaginez qu’on doive mesurer la variation d’un flux sur une planète plus petite et plus froide, relativise l’astrophysicien, là où une planète chaude n’influence le flux global que d’1/10 000ème. Par exemple, pour une soeur jumelle de la Terre, le signal attendu serait 10 mille fois plus faible, au moins…»

Une cible parfaite pour ce genre de mesure

« Plus de septante super-Terres sont connues à ce jour, développe Michaël Gillon. Les instruments de dernière génération, comme le satellite Kepler de la NASA, permettent d’en détecter des nouvelles constamment. Mais la plupart d’entre elles gravitent autour d’étoiles faibles, lointaines et invisibles à l’œil nu. Pour mesurer l’émission de telles planètes, si petites en regard d’autres astres observables, il faudrait des télescopes gigantesques et extrêmement précis. Et nous n’en sommes pas encore là. »

Dans le cas de 55 Cancri e, tout concordait pour en faire le candidat idéal pour des observations supplémentaires, dans les limites technologiques offertes. Tout d’abord, l’étoile n’est pas trop éloignée de notre Terre et est donc très brillante. La présence très proche de 55 Cancri e par rapport à son étoile implique qu’elle est fortement irradiée, ce qui influe sur sa température effective, et en fait une planète « hot » (ou chaude). A titre de comparaison, là où la Terre a une température de 300 kelvins (K), et Jupiter de 100 kelvins, l’exoplanète étudiée, elle, dépasse les 2000 kelvins, comme le montre la mesure effectuée par Spitzer. Cette température est supérieure au  point de fusion de la plupart des métaux!

Enfin, une dernière caractéristique de la planète facilitait l’observation de son émission : son albedo. L’albedo est une unité comprise entre 0 et 1 qui mesure la réflectivité d’un astre. Plus l’astre est clair, comme un bloc de glace, par exemple, plus il réfléchit la lumière, moins il garde de chaleur. Son albedo se rapprochera de 1. A l’inverse, plus l’astre est sombre, plus il emmagasine la lumière et la chaleur, son albedo avoisinera la mesure 0.

Comme la température de 55 Cancri e est très élevée, cela suggère donc que la réflectivité de la planète est faible. « Si la surface était fortement réfléchissante, pratiquement toute la lumière de l’étoile serait renvoyée vers l’espace et la température ne serait pas aussi élevée. Notre mesure montre que la planète est très chaude, ce qui suggère donc qu’elle absorbe efficacement la lumière qui vient de l’étoile. » Son albedo est donc très faible, ce qui fort heureusement a facilité la détection de son émission thermique.



Une mauvaise circulation de la chaleur

Pour une étude plus précise, il faudrait pouvoir mesurer le flux de la planète à de nombreuses autres longueurs d’onde, ce qui permettrait d’en déduire le spectre d’émission. Ce qui, pour le moment, demeure technologiquement impossible. Un spectre plus large permettrait de contraindre d’autres conditions physiques, comme la variation de température en fonction de l’altitude, la composition de l’atmosphère, s’il en existe une,… « C’est un premier pas dans l’étude poussée de cette super-Terre, se réjouit tout de même Michel Gillon. Ce qu’on peut déjà supposer suite à notre mesure, c’est qu’il y a sur cette planète une très faible redistribution de la chaleur. »

En effet, une planète si proche de son étoile est piégée dans un état de résonance. C’est-à-dire qu’elle tourne sur elle-même à la même vitesse que sa période orbitale et va donc toujours montrer une même face à l’étoile. Exactement de la même manière que la lune pour la Terre. « Ce qui signifie qu’il y a un hémisphère continuellement irradié et un hémisphère dans une nuit perpétuelle, précise le chercheur. Entre ces deux hémisphères, il y a forcément une différence de température plus ou moins  importante selon l’efficacité du transfert de la chaleur du côté jour vers le côté nuit. L’émission que nous mesurons correspond au côté jour, et sa valeur élevée favorise une forte différence de température avec le côté nuit, et donc un transfert de chaleur peu efficace entre les deux hémisphères. En effet, si ce transfert était efficace, le côté nuit ne stockerait pas autant de chaleur et son émission serait plus faible. »

Pionnier dans l’étude des planètes telluriques

L’émission lumineuse avait déjà été mesurée sur des planètes beaucoup plus grosses, rappelant les tailles de Neptune ou de Jupiter. Mais c’est la toute première fois que cette mesure a été rendue possible pour une super-Terre. « Pour étudier plus en détail des astres aussi éloignés et de plus petite taille encore, se réjouit Michaël Gillon, il faudra attendre la mise en service du télescope spatial JWST (James Webb Space Telescope, Ndlr), le remplaçant de Hubble. Son diamètre fera 6,5 mètres de large, là où Spitzer ne fait que 85 centimètres. JWST, qui ne sera pas lancé vers l’espace avant 2018 au plus tôt, promettra donc des mesures beaucoup plus précises et couvrant un spectre de longueurs d’ondes beaucoup plus important. Cela permettra une étude beaucoup plus poussée de planètes  comme 55 Cancri e, et également l’étude de planètes plus petites, plus froides et plus éloignées de la Terre. Ce sera une véritable révolution, tout comme Spitzer a initié une révolution en son temps dans l’étude des planètes en transit. » Etude qui demeure aujourd’hui l’un des moyens les plus efficaces pour dénicher de nouvelles planètes. « Bien sûr, il existe des techniques d’imagerie directe, qui parviennent à séparer dans une même image l’étoile et la planète. Il y a donc dans ces cas-là une possibilité de détecter l’émission sans avoir besoin d’observer le transit de la planète. Mais ce sont des techniques très complexes qui se mettent lentement au point, et qui parviennent actuellement à n’étudier que des planètes géantes, très chaudes, massives, relativement proches de nous, et orbitant assez loin de leur étoile. Ces technologies n’auraient par exemple pas permis notre découverte, la planète étant bien trop petite et bien trop proche de son étoile pour qu’on puisse nettement distinguer les deux flux sur une image. »

Toujours est-il qu’en étudiant 55 Cancri e, l’équipe de l’astrophysicien ouvre la voie à un tout nouveau pan de l’astrobiologie, celui de l’étude des planètes telluriques, de petite taille. «Ce résultat est stimulant et nous encourage à redoubler d’efforts. D’une part, il faut bien sûr continuer à repousser les limites de nos instruments pour pousser plus avant l’étude de ces petites exoplanètes. Mais le fait que cette première détection de l’émission d’une super-Terre concerne une planète en orbite autour d’une étoile proche n’est pas un hasard: plus l’étoile hôte est brillante et plus nos observations peuvent être précises. Il faut donc concentrer nos recherches de planètes en transit sur les étoiles les plus proches du système solaire. Ce n’est que comme cela que nous trouverons des planètes similaires à la Terre que nous pourrons vraiment étudier en détail avec nos futurs instruments. Dans ce contexte, nous militons pour une participation forte de la Belgique dans le projet CHEOPS qui est dirigé par la Suisse et qui vise à mettre sur orbite en 2017 un télescope spatial hyper-précis dédié à la recherche des transits de planètes telluriques en orbite autour d’étoiles du voisinage solaire.»

(1) Demory B.-O., Gillon M., Seager S., Benneke B., Deming D. & Jackson B., Detection of Thermal Emission from a Super-Earth, The Astrophysical Journal Letters, 2012.


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