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Les groupes littéraires, un objet éclaté et en mouvement
12/14/16

Des vocations et des fortunes variées 

Romantisme, symbolisme et surréalisme sont des mouvements canoniques et leurs grandes figures participent aujourd’hui du panthéon culturel. Avant de se développer dans différents domaines artistiques et sur le plan international, ils ont souvent émergé de manière informelle, au départ de groupes restreints et en vertu de mécanismes de camaraderie ou de fraternité. Les codes et lois institutionnalisant leurs esthétique se sont développés en cours de route. Bien d’autres groupes n’ont pas connu cette postérité, même si certains d’entre eux ont joui d’un certain succès contemporain. La contribution de Daniel Grojnowski (14) se focalise sur trois groupes éphémères : les Zutiques, les Hydropathes et les Incohérents. L’auteur interroge la relation entre leur longévité, la qualité de leurs œuvres et leur fortune. L’éclatement provient aussi des ambitions qui poussent des écrivains à se retrouver : là où les Parnassiens et les symbolistes sont en quête d’une esthétique pure, les naturalistes cherchent à retranscrire le réel le plus fidèlement possible et les surréalistes expérimentent des rapports nouveaux à la vie en explorant leur inconscient. Les groupes étudiés par Grojnowski ne cherchent rien de plus que l’irrévérence, l’humour gaulois et potache au service de la subversion. Ils s’amusent du pouvoir en place et se jouent des codes institutionnalisés en les adoptant pour les détourner. C’est également le cas d’un autre groupe aux délimitations tout à fait uniques, celui du Chat Noir (15), qui aura une étonnante longévité d’une quinzaine d’années : cette communauté disparate se définit surtout par le cabaret auquel elle est attachée et à la revue à laquelle celui-ci donne son nom ; tenant davantage de la nébuleuse que du groupe d’individus soudés, elle se constitue néanmoins autour de figures centrales, parmi lesquelles la moins saillante n’est pas Alphonse Allais. 

De la crainte du groupe à une quête de légitimité académique

Deux contributions au volume sortent de la sphère franco-belge pour proposer un regard sur les velléités communautaires de la vie littéraire au Québec. Michel Lacroix (16) tend plutôt à démontrer que contrairement aux phénomènes sociaux du Paris du XIXe siècle, les auteurs canadiens francophones émettent une certaine réserve à l’idée de se regrouper sous une même identité. Se dérobant aux volontés de fonder des collectifs, ils affirment plutôt un rapport individuel à l’écriture. La contribution d’Olivier Lapointe (17) , pour sa part, montre comment certains écrivains québécois ont tout de même cherché à inventer une légitimité en fondant ex nihilo l’Académie canadienne-française : calquant leur projet sur une institution étatique et particulièrement assise – l’Académie française – des auteurs en dissidence avec les canons de la littérature canadienne francophone se sont dressés contre l’organe institutionnel en place, la Société Royale du Canada. Le chercheur y relate notamment les stratégies médiatiques de l’instigateur passablement frondeur de cette Académie pour se forger une légitimité, en invitant notamment des amis journalistes et écrivains à en vanter les mérites dans la presse. Un tour de force qui ne passe pas inaperçu aux yeux des nombreux détracteurs de l’initiative. À travers un important corpus composé de dépêches de l’époque, ce sont de véritables rapports de force médiatiques que l’auteur dévoile, dans l’un des nombreux combats pour la quête d’institutionnalisation et de légitimité des acteurs du monde littéraire. 

Un objet pour questionner une méthode

Les ouvrages collectifs comme La dynamique des groupes littéraires échappent difficilement à une certaine forme de fragmentation. Dans le cas présent, la multiplicité des regards se révèle bénéfique puisqu’elle apporte systématiquement un éclairage nouveau sur un objet aux contours flous, qui a souvent été réduit à des images figées. « C’était le parti pris de l’ouvrage, né d’un colloque organisé à Liège en 2013, reconnaît Denis Saint-Amand. Au-delà d’un apport à des questions d’histoire littéraire, ce projet est porté par une réflexion méthodologique. L’idée était de rassembler une série de spécialistes susceptibles de contribuer à la connaissance du littéraire à travers la question des groupes, mais aussi de mettre à l’épreuve des outils et méthodes permettant d’envisager ces objets. Les différents contributeurs du volume partagent une volonté de ne pas écraser les cas qu’ils étudient dans des grilles d’analyse trop étroites, et multiplient volontiers les points de vue pour cerner le plus finement possible les collectifs qu’ils étudient.» Au lieu de faire entrer de force l’objet dans un cadre analytique, ils cherchent quels outils pourraient permettre d’aider à le penser. En questionnant ses propres méthodes, cette approche tend également à contribuer plus largement aux études sur la question des phénomènes collectifs. « La finalité des groupes littéraires étant de produire du discours, ceux-ci offrent une multitude de prises à ce niveau ils se choisissent un nom, se mettent en scène, rédigent des manifestes… Mais ce qui se joue en leur sein peut évidemment se manifester dans d’autres formes de groupements : si on se penche sur le vestiaire d’une équipe de football, sur une patrouille scoute ou sur le laboratoire d’une équipe de recherche, on observera des rites, des adaptations comportementales, des hiérarchies implicites, des phénomènes de croyances qui répondent à de similaires logiques et dynamiques. Se pencher sur les groupes littéraires, c’est se donner les moyens de questionner plus largement les rouages des phénomènes collectifs. »

(14) Daniel Grojnowski, « Des groupes et des œuvres. Zutiques, Hydropathes, Incohérents », Ibid.,p. 85
(15) Caroline Crépiat, « Les logiques de connexion au Chat Noir (1882-1897) », p. 97
(16) Michel Lacroix, « Les revues québécoises et la hantise de la chapelle », p. 129
(17) Olivier Lapointe, Posture collective et survie organisationnelle. L’exemple de la fondation de l’Académie canadienne-française, p.143

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