Strud : une histoire s’achève
La localité belge de Strud, entre Namur et Andenne, ne verra plus défiler géologues et paléontologues. Ce qui pouvait être fouillé l’a été et le site semble avoir livré toutes ses richesses. Depuis quelques mois, divers articles scientifiques sont venus compléter le portrait de cet endroit tel qu’il était voici environ 360 millions d’années. Dernière découverte : il a abrité une « nurserie » de placodermes, énormes poissons osseux à la puissante mâchoire… qui disparurent très peu de temps après les spécimens découverts ici. L’histoire du gisement de Strud, situé dans la commune de Gesves entre Namur et Andenne en Belgique, commence avec la perspicacité de Gaël Clément, alors doctorant au Museum d’Histoire Naturelle de Paris. Réalisant sa thèse sur les amphibiens primitifs, il a l’attention attirée par une monographie de la fin du XIXe siècle consacrée aux poissons par Maximin Lohest, un paléontologue de l’Université de Liège. Y figure notamment ce que Lhoest décrivait comme une mâchoire de poisson. Pour Gaël Clément, pas de doute cependant : c’est une mâchoire de tétrapode (un amphibien primitif). Fouillant dans les collections liégeoises, Gaël Clément finit par retrouver la mandibule décrite par Lhoest, ce qui lui permet de confirmer et affiner son analyse : le morceau de mâchoire provient d’un Ichthyostega. Une découverte que Gaël Clément publie, notamment avec Edouard Poty, dans Nature en 2004 (1). A l’époque, cela fit un certain bruit dans le milieu de la paléontologie car des fossiles de ce type n’avaient été trouvés qu’au Groenland. Encore fallait-il découvrir l’endroit exact où le fossile wallon avait été découvert plusieurs décennies auparavant. Certes, il était indiqué qu’il provenait de la localité de Strud…. Mais cela laissait encore beaucoup d’incertitude ! La précision vint de Jean-Marc Marion et Laurent Barchy, géologues qui travaillaient sur la carte géologique de la Wallonie. Ils établissent que le fossile avait été extrait d’une petite carrière située à l’orée du village. Celle-ci a alors été dégagée et les fouilles s’y sont succédées, menées principalement par l’Université de Liège, le Museum d’Histoire Naturelle de Paris et l’Institut des Sciences Naturelles de Belgique. Les campagnes ont pris fin en 2015. « On a sorti pas mal de fossiles, raconte Julien Denayer, assistant au sein de l’EDDy Lab (Evolution and Diversity DYnamics lab) du département de géologie de l’ULg. Beaucoup de matériaux de poissons, d’autres morceaux de tétrapodes, mais surtout une faune magnifique d’arthropodes ! Des crustacés, des petites crevettes et surtout un insecte (Lire l’article « 365 millions d’années et pas une ride ») qui a, lui aussi, créé des remous et nous a valu une autre publication dans Nature en 2012 (2). C’est en effet le plus ancien insecte complet jamais découvert puisqu’il date du Famennien, soit il y a 365 millions d’années, alors que les précédents fossiles trouvés remontaient au Carbonifère supérieur, soit 300 millions d’années. Cela a attiré d’autres visiteurs à Strud dont le gisement a acquis une petite renommée. » Vue de la carrière de Strud Strud le tropicalComment expliquer une telle accumulation de fossiles en cet endroit « perdu » de la campagne wallonne ? Dans une publication (3) dont il est le premier auteur, Julien Denayer dresse un cadre géologique et stratigraphique précis de la région. Cette étude a permis de confirmer que celle-ci était un delta, c’est-à-dire une successions de chenaux (riches en fossiles) entrecoupés de bandes de terres où il n’y a presqu’aucun fossile. Il est parvenu à dater très précisément les couches dans lesquelles ont été retrouvés les fossiles, soit le Famennien supérieur (365 millions d’années). « A cette époque, explique le géologue, ce delta bordait un continent (appelé continent de Londres-Brabant) et était situé aux alentours du tropique du capricorne…. Ce qui ne signifie pas qu’il faut s’imaginer l’endroit arboré de palmiers ! Ceux-ci sont apparus bien plus tard ; au Famennien, il y a peu d’organismes vivants (aussi bien animaux que plantes) sur la terre ferme, ce qui explique qu’on trouve des fossiles dans les chenaux du delta et pratiquement pas en dehors. Cette alternance est caractéristique des deltas. » C’est aussi une des raisons pour lesquelles le site de Strud est si important : il montre une phase parmi les plus anciennes de l’évolution des tétrapodes après leur émergence mais avant qu’ils ne se répandent sur le terre ferme. Comme dans tous les deltas, certains chenaux s’ouvrent et se ferment au gré des changements de cours du fleuve. Les chenaux qui se ferment deviennent des petits lacs où se déposent les sédiments et finissent par s’assécher. D’où la formation de fossiles. S’ils affleurent aujourd’hui, c’est parce que la région a ensuite connu une phase d’érection de montagnes qui a plissé ces roches sédimentaires, des rivières ont creusé des vallées et les roches ont affleuré. Sans oublier, ces derniers siècles, l’intervention de l’homme, qui a exploité ces roches, d’où la découverte des fossiles. (1) Devonian tetrapod from western Europe, Nature, vol. 427, january 2004. |
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