Le site de vulgarisation scientifique de l’Université de Liège. ULg, Université de Liège

Video ergo cogito
04/05/2012

DR-MabuseLe deuxième regroupement de textes, rassemblés sous l’enseigne sobre « Vidéo et cinéma » amorce donc ce premier virage de pensée. Autour du film Le diabolique docteur Mabuse de Fritz Lang, Philippe Dubois interroge la vidéo en tant que regard aveugle, dans tout ce qu’elle a de non artistique, en tant que condition technique permettant un panoptisme mondial total et orwellien. En exposant tout, elle devient un dispositif vide, nous signifie qu’il y a à la fois tout et rien à voir, elle n’est plus une image, elle est la surveillance. « A force de voyeurisme exacerbé, elle rend le regard pornographique. Par la paranoïa de son omnivoyance, elle ouvre à la dissolution de toute consistance de la pensée et de l’être. La vidéo : être vu, ne pas penser, faire croire, cesser d’exister. Video ergo non sum. »

La suite de cette deuxième partie retrace historiquement l’émergence de la vidéo et ensuite ses « correspondances » avec le cinéma. Comment, au début des années 1970, elle suscite un engouement, une promesse utopique d’un rapport nouveau à un art libéré, un fantasme d’une intégration absolue de la vidéo dans le cinéma, avant de verser vers la désillusion de ce rêve et de prendre conscience de sa nature éminemment différente du cinéma. La vidéo n’est donc plus la possible nouvelle révolution du cinéma. Elle devient un à côté, consciente de la distance qui la sépare de son « grand frère ». On lit également dans un autre texte une synthèse non exhaustive, mais plus fouillée de ces relations entre le cinéma et la vidéo. Comment le premier préfigure l’avènement de la seconde en expérimentant des techniques ou effets qu’elle se réappropriera, comment des cinéastes ont tenté la fusion des deux dispositifs pour proposer, dans les années 1970 et 1980 des œuvres hybrides, et comment, enfin, la vidéo, après avoir tenté de se trouver une légitimité intrinsèque aux frontières fortement marquées, a reconnu peu à peu son rapport au cinéma, démontrant une cinéphilie forte, voire une « cinéphagie », pour reprendre le terme de l’auteur.

L’ensemble de la troisième partie pourrait être vu comme une étude de cas idéal, comme une longue illustration de ce que peuvent être les liens de la vidéo et du cinéma, qui s’embrassent à travers les actes et la pensée d’un seul homme, Jean-Luc Godard (Cfr ci-dessous).

Le livre entame ensuite son dernier voyage transversal, en intégrant le monde muséal de l’art contemporain. Comment la vidéo a interrogé les limites de l’art avant de l’intégrer et de s’y fondre, comment elle a permis d’être le médium menant deux mondes distants à se rencontrer, comment elle a autorisé le cinéma à quitter les salles obscures pour intégrer les musées et offrir au spectateur un regard nouveau, un autre rapport à l’écran, et à l’image. Après l’exposition de plusieurs œuvres, le livre clôt son parcours sur deux artistes plasticiens qui ont intégré la vidéo dans leur art, Victor Burgin et Wyn Geleynse.

Godard et vidéo, quête existentielle d’un être-image

Les quatre textes consacrés au cinéaste franco-suisse s’investissent chacun d’un angle différent pour illustrer une même trajectoire de vie, d’art et de pensée. Une évolution entre un cinéma moderne, jeune, par moments immédiat et naïf des années 1960, où Godard interroge déjà le cinéma, mais avec les codes qui lui sont propres, et les années 1980, où l’art se fait le fruit de violentes questions existentielles, où rien n’est plus si simple, où la vie et ce qui la représente accouchent dans la douleur, après une quête quasi mystique. Philippe Dubois traite ainsi du rapport du cinéaste à la peinture, à la notion de la maternité, du désir de création, en orchestrant un magnifique parallèle entre la femme enceinte et la toile vierge sur laquelle naît peu à peu un film. Il traite également de l’écriture, part maudite et ambiguë de l’œuvre de Godard, qui mène jusqu’au « scénario-vidéo », vidéo qui accompagne la création d’un film et qui, comme son nom l’indique, remplace le scénario traditionnel. « La vidéo pense ce que le cinéma crée ».

Page : précédente 1 2 3 4 5 suivante

 


© 2007 ULi�ge