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Video ergo cogito
04/05/2012

incrustationIl développe également un autre rapport au temps, entre la vidéo et le spectateur, cette fois, la notion du direct, qu’autorise la vidéo, la notion d’information instantanée, de diffusion d’un seul signal sur plusieurs moniteurs en temps réel. Un rapport au temps qui sera esthétisé par Jean-Luc Godard, notamment, qui cultivera l’art du bégayement ou du silence à la télévision, qui sont deux traits de la réflexion en direct, de l’absence d’une préparation du discours, et qui pourtant hantent la télévision, qui vise à combler les trous, qui a peur de ce même silence. On le voit déjà, la vidéo, en tant qu’esthétique et expérimentation du temps et de l’image, permet d’interroger d’une certaine manière les limites, les craintes de la télévision.

Pour en revenir à la simultanéité de l’exposition de plusieurs images, Philippe Dubois pose une conclusion subtile. Il est erroné de parler pour la vidéo de plan ou de montage, qui s’inscrivent dans une définition linéaire du temps. Au concept de plan, il privilégie celui d’image. Et à celui de montage le terme de mixage. Le mixage de plusieurs images en une, qui construisent un récit de simultanéité. Il va plus loin et propose de ne plus tenir compte de l’échelle des plans. Celle-ci présuppose une homogénéité de l’espace d’une image à partir d’un point de vue unique. Elle ne tient plus dans le cas d’incrustation d’images qui représentent des réalités et des espaces différents et qui sont assemblées pour un effet de sens. Il interroge également deux autres grands concepts du cinéma, ceux de profondeur de champ et de hors-champ. Encore une fois, la profondeur de champ présuppose une homogénéité d’un espace en perspective, un même lieu ou certains éléments sont plus proches que d’autres, là où la vidéo propose des images qui ne partagent pas un même espace. Cet assemblage simultané d’images va même jusqu’à réduire l’importance du hors-champ au profit d’une « image totalisante », puisque tout ce que veut montrer le vidéaste est sensé s’y trouver. Le hors-champ est donc exclu.

Cette définition est séduisante. Et pourtant, on se heurte assez rapidement à certains problèmes qui limitent le caractère exclusif de cette nouvelle esthétique. Le cinéma, déjà dans les années 1920, utilise des techniques de surimpression, ou de mélange d’images. A l’inverse, la vidéo développe également des techniques cinématographiques de construction narrative ou esthétique. Elle n’a pas un code qui lui est propre. Elle est rattachée à ce qui l’entoure et à ce qui la précède. Elle est collée au cinéma, à la télévision, à l’art contemporain, au numérique, et le tout s’interinfluence dans un brassage constant. L’auteur de l’ouvrage marque là un tournant décisif, arrête de penser la vidéo et de tenter de la définir par l’image pour l’embrasser dans un tout, qui intègre notamment les autres arts, mais aussi la vidéo en tant qu’état éminemment trouble, indissociable de l’image, certes, mais également du dispositif même du médium, de la manière dont celui-ci pose question.

Entre cinéma et art contemporain

La première partie permet de se faire une idée de ce que pourrait être la vidéo, même si elle reste ambiguë, volatile, multiple. Elle autorise le lecteur à se familiariser au concept, à le replacer dans ses lignes de force, dans son rapport aux autres médiums. Les trois parties restantes de l’ouvrage sont traversées par la volonté d’une approche oblique, transversale, contrebandière, anachronique, qui permet d’envisager la vidéo non pas en tant que ce qu’elle est positivement, mais en tant que ce qu’elle est par rapport à l’Autre, par rapport à la manière dont elle fait question. Des parties qui abolissent les frontières, donc, au profit d’un brassage esthétique extraordinaire.

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